Un an après, les fans du PSG racontent le premier match de l'ère Covid
Le 11 mars 2020, six jours avant le premier confinement, des supporters parisiens assistent devant le Parc des Princes au huitième de finale retour de la Ligue des champions contre le club allemand du Borussia Dortmund. Récit d'un premier match à huis clos par trois fans massés dehors.
La dernière fois avant le grand saut dans l'inconnu, avant la bascule dans un monde masqué et l'injonction à la distance sociale. Chez les supporters du PSG, le dimanche 8 mars 2020 marque la fin d'une ère de défaites humiliantes en Ligue des champions, avec une victoire en huitième de final retour face au Borussia Dortmund (2-0) et après un match aller perdu 2-1 en Allemagne.
Quarante-huit heures avant la rencontre, la préfecture de police de Paris impose un huis clos. Bravant l'interdit, plus de 3.000 supporters se rassemblent néanmoins devant le Parc des Princes. Ils seront rejoints par les joueurs à la fin du match. La qualification du PSG est acquise dès la mi-temps, grâce à des buts de Neymar (28e) et Bernat (45e+1), mais Paris reste jusqu'au bout sous la menace d'un but allemand, synonyme de prolongation.
Lancelot*, un habitué de la tribune Auteuil, Arthur, un supporter de Paris « depuis l’époque de Ronaldinho et Pauleta » et Nicolas Pereira, un abonné du virage Auteuil, reviennent sur une soirée vraiment pas comme les autres, un an après. Et ce, alors que le PSG s'apprête à recevoir, toujours à huis clos ce mercredi 10 mars, le FC Barcelone au même stade de la compétition après une brillante victoire 4-1 en Catalogne.
"Le dernier moment normal"
Lancelot : C’est encore abstrait, le virus, mais on commence à sentir que ça va basculer et que c'est le dernier moment normal qu'on peut passer ensemble.
Arthur : Ce n’est pas encore la période où les masques sont obligatoires, les règles ne sont pas encore bien instaurées. En revanche, c’est la dernière fois qu’on a l’autorisation d’être rassemblés. Et ça, c’est dans toutes les têtes.
Hugo Pereira : Ce contexte joue. Tu ne sais pas ce qui t'attend après. Il y a vraiment de l’adrénaline. On se dit : « C’est le dernier match tous ensemble avant un moment ». Ça rend l'avant-match unique.
"Luis Fernandez avait aussi son fumigène"
Hugo Pereira : Toute la journée on se parle, on se chauffe. Moi je pars du boulot à 15 heures, impossible de bosser. On se retrouve quatre heures avant le match, c’est du jamais vu !
Lancelot : Je vais au Parc, j’y crois quand même un peu. Je me dis que le contexte est tellement chelou que ça peut être propice au PSG, il faut des choses bizarres pour qu’on gagne ou qu’on perde. Après, j’ai fait le match aller à Dortmund et je ne suis pas non plus méga détendu : Erling Haaland sur son but (à la 77e lors de la victoire de Dortmund 2-1, NDLR), il fait trembler les filets comme j’ai rarement vu.
Hugo Pereira : Le car arrive vers 18h30-19h. On l’encercle. Il y a des chants, des fumigènes, des pétards. Je vois Luis Fernandez qui, lui aussi, a son fumigène. C’est trop ! Le car, on le suit jusqu’au Parc. À 19h30 on est face au virage Auteuil. Jusqu’au coup d’envoi il n’y a pas de répit.
Arthur : Avec tous les feus d’artifice et les fumigènes, les joueurs sont dans le stade mais ils savent qu’on est encore là. C’est sûr.
Lancelot : Je vois un truc qui tourne sur Twitter, où on est affichés sur les écrans du Parc. Les joueurs sont en mode : « Ils sont beaucoup quand même ! ». Ils comprennent qu’on va rester là tout le match.
"Je suis trop stressé. Je vais marcher dans le XVIe"
Lancelot : On fait tout le match devant le virage Auteuil sur le rond-point. On n'a pas d’écran géant, on ne voit rien du match, on n’a pas d’images. On chante juste pour se faire entendre. Les buts, on les apprend par les quelques mecs qui ont du réseau ou par les gars qui sont dans le stade pour gérer les banderoles et qui nous tiennent au courant.
Hugo Pereira : J’ai un téléphone, mais les deux buts je ne les vois pas en direct. À ce moment, la foule est transportée, tout le monde se pousse.
Arthur : Le réseau est un peu saturé du coup c’est comme un mauvais streaming. Ça saute tout le temps. Quand il y a les buts, les gens sont informés par vagues. Ceux qui ont la meilleure connexion crient avant les autres. C’est l’interrogation permanente. Le premier but, je l’ai sur mon téléphone mais des gens commencent déjà à célébrer 4-5 secondes avant. C’est l’explosion.
Lancelot : C’est comme les manifestations. Le message part devant et se propage jusqu’à l’arrière. Les buts, c’est deux gros mouvements de foule sur dix minutes. Tout le monde se demande s’il y a vraiment but. Tu regardes les autres tu ne sais pas si tu peux vraiment exulter.
Arthur : L’ambiance redescend à la mi-temps. La tension revient autour de la 70e.
Hugo Pereira : En deuxième période, je suis beaucoup trop stressé. Je vais marcher dans le XVIe. Je reviens à la 87e. Emre Can vient de prendre un rouge, ça sent bon.
Lancelot : Avec le Covid, le match ce n’est plus très grave, moi je kiffe avec mes potes. On chante, on est plutôt sereins. Je suis dans ma bulle. Même le rouge de Emre Can, j’apprends ça le lendemain.
Embed from Getty Images"C'est Bagdad"
Lancelot : Au coup de sifflet final, tout le monde se met à sauter, je comprends qu’on est qualifié mais je ne sais pas qu’il y a 2-0. Ça relance un nouveau festival de fumigènes.
Hugo Pereira : C’est la libération ! Quand les joueurs arrivent dans la tribune Auteuil pour fêter avec nous, c’est Bagdad. Ça pète de partout. T’es obligé de mettre ta capuche pour ne pas être brûlé. Même le mec qui a fait l’ENA à ce moment il devient fou. Il n’y a plus aucun respect des gestes barrières. Il y a un feu d’artifice au centre de la place. Tout le monde devient fou.
Arthur : C’est incroyable, une vraie grande communion. La dernière fois que j’ai fait un truc comme ça, avec les joueurs, c’est la première année avec Ibra et Silva et les célébrations aux Trocadéro (en 2013, Ibrahimovic et Thiago Silva fraichement recrutés, avaient conduit le PSG à son premier titre national depuis 19 ans, NDLR). Depuis ce moment, je n’ai pas eu cet effet. C’est l'un de mes plus beaux souvenirs.
Lancelot : On a pour consigne de ne pas s’approcher trop près du Parc mais il y a un mouvement de foule. Je me souviens que Di María se met debout sur le parapet de la tribune Auteuil et fait virevolter son maillot. Derrière lui, il y a Paredes et Icardi qui essaient de le tenir pour qu’il ne tombe pas. On célèbre avec eux, c’est la vraie fête. Je le réalise directement : ce qu’on vit est ouf ! Les gens racontent leurs expériences du premier confinement. Moi, mon expérience c’est ça.
Hugo Pereira : C’est l'une des plus belles ambiances que j’ai jamais vécue, alors que je ne suis pas dans le stade. C’est une soirée unique, différente. Le contexte définit vraiment la soirée et participe à créer une atmosphère pré-Covid unique. On ne revivra jamais un truc pareil.
"J'ai avalé 3 kg de fumigènes"
Lancelot : Je n'ai pas fait de grosse soirée avant le match, mais deux-trois jours après, je me réveille en pleine nuit avec une insuffisance respiratoire. Pendant une semaine, j’ai tous les symptômes sauf la perte de goût.
Hugo Pereira : J’ai une inquiétude le lendemain, avec une forte gêne respiratoire. Mais c’est juste que j’avais avalé 3 kg de fumigènes. Sur la dizaine de personnes avec qui j’y suis allé, personne ne l’a eu. Ensuite, je sais que des gens l’ont attrapé ce soir là.
Arthur : Pas de Covid du tout pour moi !
"On ne savait pas qu’on serait sevrés pendant cinq mois"
Hugo Pereira : Six jours après, on est confinés. C’est notre dernier match. Tu prends le contrecoup. On ne sait pas qu’on sera sevré de football pendant cinq mois (le football français pourra reprendre fin juillet avec une jauge de supporters réduite dans un premier temps puis à huis clos depuis octobre 2020, NDLR).
Lancelot : Ce foot à huis clos, je le vis très mal. Il y a des personnes que je vois habituellement au stade que je ne vois plus depuis des mois. On est en train de saquer - pour des raisons que l'on peut évidemment comprendre sur le plan sanitaire - toute une partie de ce qui fait le sel de ce sport : le supportérisme, la passion, les foules, le monde amateur.
Hugo Pereira : Il y a un vrai manque d’aller au stade. Au début de la saison, quand il y avait encore la jauge des 5000 supporters, j’ai craqué, je suis allé voir PSG-Metz. On gagne 1-0 à onze contre dix grâce à un but de Draxler dans le temps additionnel. C’était un match pourri mais j’étais juste heureux d’être en tribune.
Propos recueillis par Pierre-Henri Girard-Claudon
*le prénom a été changé