Visite du pape en Irak : "Une immense joie" pour Hind, chrétienne réfugiée en France
C'est la première fois, vendredi 5 mars, qu’un pape se rend en terres irakiennes. Un moment capital pour les chrétiens d’Irak, y compris pour ceux qui vivent loin de leur pays. Témoignage chez une famille réfugiée près de Lille depuis six ans.
Sur son téléphone, Hind Karo, 29 ans, suit attentivement l’arrivée du pape François en Irak, les préparatifs dans son pays d’origine, les prêtres qui diffusent des vidéos sur les réseaux sociaux... "C’est une immense joie pour nous, sourit la jeune femme. Pas que pour les chrétiens, mais aussi pour les musulmans. Il peut apporter la paix pour tout le monde". Réfugiée en France avec sa famille depuis six ans, elle insiste sur le symbole national que cette première visite d’un pape représente, après les violences que le pays a connues. D’ailleurs, Hind décrit comment tout a été nettoyé et réparé pour préparer ce voyage, et accueillir le souverain pontife dans de bonnes conditions. "Ça nous donne vraiment envie d’être avec eux. Les chrétiens d’Irak avaient une grande blessure, le pape va venir mettre de la pommade dessus, affirme-t-elle. Et pour les autres communautés, nous rappeler que nous sommes tous frères et sœurs".
Elle repense avec nostalgie à cette "fraternité" centrale à Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne du pays, avant l’irruption de l’État islamique. "On allait chez les musulmans pour leurs fêtes, ils venaient chez nous pour Pâques... Là-bas, on avait beaucoup plus de célébrations qu’en France : pendant le carême par exemple, nous étions tous à l’église le vendredi. Les gens ici sont plus occupés", regrette-t-elle.
"On est partis de chez nous uniquement avec les vêtements qu’on portait"
La messe à l’église de Qaraqosh, au nord de l'Irak, cela fait longtemps que la famille n’a pas pu y assister. Dès le 6 août 2014, lorsque Daech a envahi la ville, Hind, son mari et leur fils sont partis, direction Erbil. "Les cloches de l’église ont commencé à sonner, pour demander aux gens de sortir de chez eux, se rappelle-t-elle. On nous avertissait que ça commençait à devenir dangereux, alors on est partis… uniquement avec les vêtements qu’on portait, on n’avait rien de plus."
Dans la ville située entre Mossoul et Erbil, presque tous les habitants ont fui comme eux. "Daech demandait soit de leur donner de l’argent si on restait, soit de devenir musulmans. C’est pour ça qu’on n’a pas accepté et qu’on est partis. On a mis entre douze et quinze heures pour marcher jusqu’à Erbil. Sur le chemin, il y avait beaucoup de gens qui quittaient les villes voisines aussi". Sur place, les logements manquent, certains dorment dehors sous 50 degrés. Mais Alaa, le mari de Hind, finit par trouver du travail comme carrossier. "On a réussi à louer une maison, mais on devait la partager avec cinq autres familles, ce n’était pas facile", raconte Hind. Le couple et leur fils sont restés trois mois dans la capitale du Kurdistan irakien, avant de rejoindre la France.
Leur ville natale a été libérée en 2017. Ceux qui ont pu y revenir ont découvert "leur maison brûlées, l’église détruite". Hind insiste : "Les chrétiens n’étaient pas les seuls à être persécutés par Daech, certains musulmans aussi, et les yézidis ont vécu pire que nous". Mais la reconstruction par les associations a permis à une partie des habitants, celles et ceux qui n’avaient pas émigré en Occident ou dans les pays voisins, de retourner vivre à Qaraqosh, contrairement aux Karo.
"Au début, en France, on ne parlait qu'avec les gestes"
À leur arrivée dans le nord de la France, Hind raconte avoir vécu six mois avec une famille d’accueil : "On ne parlait qu’avec les gestes. Au début, c’était très dur d’apprendre le français, mais on était entouré de bénévoles, puis j’ai suivi des cours à Lille". Elle a d’ailleurs pu reprendre ici une formation pour devenir assistante dentaire, après que la guerre en Irak l’a poussée à abandonner ses études d’infirmière, tandis que son mari travaille toujours comme carrossier. La famille qui les a accueillis a depuis participé à la création d’ A.G.I.R. en Weppes (Agir, Guider, Insérer les Réfugiés), qui vient en aide aux chrétiens d’Irak dans le Nord.
Tout un réseau de solidarité. En plus de la messe hebdomadaire, la famille Karo retrouve chaque mois d’autres chrétiens du Moyen-Orient pour une messe en araméen, désormais à l’église de Lomme. "Ça nous permet de pratiquer notre langue, et de voir les chrétiens de Qaraqosh, entre 80 et 100 familles ici. Et puis même pour nos enfants, c’est important qu’ils entendent parler araméen". À la maison, la mère s’adresse parfois à ses deux garçons en araméen, langue rare qu’ils comprennent mais ne parlent pas. "Moi, je connais un petit peu !", glisse à côté d’elle Christian, 5 ans.
Depuis six ans, la famille Karo n’a jamais pu retourner dans son pays, où vivent toujours une partie de leurs proches. Hind explique : "Comme réfugiés politiques, on n’avait pas le droit d’aller en Irak. Moi je n’ai pas encore les papiers, mais aujourd’hui, mon mari a la nationalité française donc ça serait possible pour lui". Alaa a d’ailleurs envisagé de rentrer pendant le périple du pape, mais le coronavirus continue à compliquer les voyages. "Et on est partis ensemble, j’aimerais qu’on y retourne ensemble. L’Irak nous manque vraiment, parce qu’on l’a quitté sans dire au revoir", ajoute sa femme. Leur fils aîné, parti à six ans, aimerait lui aussi retrouver le pays. "Il s’en souvient très bien, il raconte tout ça à l’école", commente sa mère, qui n’imagine pourtant pas retourner s’installer en Irak, pour ne pas perturber ses enfants.
Maya Elboudrari