Un an après le début du premier confinement, le "monde d'après" se dessine

Télétravail généralisé, boom des circuits courts et distanciation sociale ont fait la part belle de l'actualité depuis un an. Alors que le confinement s'éternisait, les promesses du monde d'après fleurissaient. Qu'en est-il vraiment aujourd'hui, un an après l'annonce d'un confinement historique ?

Certains n’attendent que ça : revenir à une "vie normale", digne d’une époque où l’on pouvait sortir sans masque et sans gel dans la poche. D’autres, au contraire, ont déjà exprimé leur volonté de marquer une rupture avec le monde d’avant crise, en tirant des leçons de ce qui ne fonctionnait pas. Si, un an après le début du premier confinement, la fin de la crise sanitaire ne semble toujours pas datée, les lignes d’horizon du "monde d’après" commencent quant à elles à se dessiner. Télétravail, relations à distance, ou détachement du hard-discount : Le Bouillon fait le point.

16 mars 2020. Le président Emmanuel Macron annonce le confinement général de la population française. C’est officiel, la France est mise sous cloche pendant au moins 2 semaines - enfin, à ce moment-là, c’est ce que tout le monde espère. A l’époque, dans les médias, la question est sur toutes les lèvres : comment va-t-on continuer à travailler ?

Le télétravail généralisé

Très vite, de nombreux articles affluent et décryptent en long et en large les annonces gouvernementales. Au programme, la mise en place de chômage partiel est bien sûr au cœur des mesures annoncées : "L’État prendra à sa charge l’intégralité de l’indemnisation des salariés qui seraient placés en chômage partiel, quel que soit le niveau du salaire. Aucun salarié ne perdra un centime", rassure d’emblée le ministre de l’économie Bruno Le Maire, sur RMC et BFMTV. Mais au sein de la population, les interrogations se multiplient.

Se normalise alors le concept d'un mode de travail qui s'apprête à bouleverser le fonctionnement de l'ensemble de la population active : le télétravail. Alors qu’il n’était utilisé que de manière occasionnelle par les travailleurs et salariés, celui-ci s’impose rapidement comme un nouveau mode de travail à part entière. Selon Caroline Diard, enseignante-chercheuse en relations RH et droit à l’EDC Paris Business School, il y aura un avant et un après la crise sanitaire. "Sociologiquement, avant le confinement, la société n’était pas prête à intégrer le télétravail", affirme-t-elle. En effet, si le télétravail était présent dans le code du travail depuis 2012, et élargi depuis 2018, à travers les ordonnances Macron, il était loin d’être naturel pour une bonne partie des patrons et salariés français. 

"Des réunions à 21h, c'est arrivé plus d'une fois"

Le rythme spécifique du télétravail a d’ailleurs ses avantages et ses inconvénients. D'un côté, "c’est un mode de travail qui permet un gain de temps énorme, notamment au niveau du temps passé dans les transports, explique Caroline Diard. Ça permet aussi au salarié d’être plus concentré et autonome." Mais de l'autre, le manque de réglementation peut parfois aboutir à des abus sur les horaires de travail. "Des réunions à 21h en visio, c'est arrivé plus d'une fois."

Quelques semaines plus tard, les inquiétudes techniques laissent place aux inquiétudes pratiques. Il ne s’agit plus de comprendre comment le télétravail sera mis en place, mais bel et bien de savoir comment "bien vivre" le télétravail, à la maison. Pour Sonia, chargée d'affaires informatiques et télécom à Enedis, le télétravail a fait apparaître des douleurs qu'elle n'avait jamais ressenti avant. "Il faut d'autant plus faire attention à sa posture de travail."

Des conseils pour mieux vivre le télétravail

Dans les médias et sur les réseaux sociaux, les conseils de spécialistes affluent. Le 16 mars 2020, Brut délivre même, dans une vidéo, ses 7 conseils pour bien vivre le télétravail. S’habiller le matin, s’imposer des horaires bien précis, ou encore penser à s’aérer : tout est bon pour rendre le vécu du télétravail moins pesant, physiquement et mentalement. Dans l'entreprise de Sonia, on conseille même les vidéos Youtube d'un certain Major mouvement, kinésithérapeute et nouveau conseiller en posture de travail. La crise aurait-elle renforcé un intérêt des employeurs pour le bien-être de leurs salariés ?

Aujourd’hui, un an après le début du premier confinement, difficile de s’imaginer un monde d’après sans télétravail. Selon Caroline Diard, il est fort probable que de nombreux employeurs privilégient par la suite une organisation hybride, qui allie travail en présentiel et télétravail : "Beaucoup pensent déjà que le recours au télétravail libère des m2 dans les bureaux, de la place dans les transports et permet plus de productivité." Un constat partagé par Sonia, pour qui les conséquences durables du télétravail se font déjà ressentir : "Dès qu'on l'a mis en place, le télétravail nous a amenés à remplacer tous les PC fixes par des PC portables pour tous les salariés."

Selon une enquête CSA pour Malakoff Humanis publiée début février 2021, près d'un tiers des salariés du secteur privé (31%) pratiquaient le télétravail à temps complet ou partiel en décembre.

Le boom des circuits courts s'inscrira-t-il dans la durée ?

Les modes de travail n’ont pas été les seuls à avoir été touchés par la crise. Le début du premier confinement, au mois de mars 2020, a également marqué les débuts d’une réflexion sur nos manières de consommer. Alors que les attestations s'apprêtent à réglementer les sorties des Français, les images de files interminables à la sortie des grandes surfaces affluent sur les réseaux sociaux. "Ruée sur les supermarchés avant le confinement", titre la 1ère. Le site de Paris Match parle, quant à lui, de “queues interminables” le 16 mars 2020. 

A ce moment précis, l’idée selon laquelle les Français pourraient se détourner d’une pratique traditionnelle de consommation en hypermarché commence à émerger. A ce titre, le boom des circuits courts attire l’attention. Dès le début du mois d’avril, le quotidien Libération pointe du doigt l’essor du recours aux circuits locaux. Même réflexe à Ouest-France, au mois de mai, qui explique dans un entretien pourquoi les circuits courts ont si bien marché pendant le confinement. A La Roche-sur-Yon, le 12 juin, on s’interroge même sur la durabilité du phénomène.

De manière générale, l'impact du confinement sur la consommation des Français a fait émerger une série de réflexions écologiques sur le "manger mieux". Mais, dans les faits, le boom des petits producteurs et des circuits courts n'a pas eu l'effet escompté. "Les Français se sont massivement tournés vers les petits producteurs pendant le premier confinement, mais à partir de l'été, ils sont vite revenus à leurs anciennes habitudes", affirme Sandrine Heitz-Spahn, maîtresse de conférences à l'Université de Lorraine et enseignante-chercheuse en marketing.

"Il va falloir attendre plusieurs années pour que les fruits de cette prise de conscience soient visibles"

Sandrine Heitz-Spahn, enseignante-chercheuse en marketing

Si certains rêvaient d'un "monde d'après" où les hypermarchés laisseraient place au local, il semble que le hard-discount ne soit pas prêt d'abandonner. "La crise du Covid a été un électrochoc pour les habitudes de consommation des Français, mais il va falloir attendre plusieurs années pour que les fruits de cette prise de conscience soient visibles", explique Sandrine Heitz-Spahn. De nombreuses enseignes profitent ainsi, selon elle, de cette mode du "manger mieux", pour attirer de nouveaux publics : "Les campagnes de pub des grandes surfaces essaient d'attirer les jeunes avec des produits respectueux de l'environnement." Aujourd'hui, les grandes surfaces sont loin d'être délaissées : "Elles restent un lieu d'échange, une possibilité qu'ont les gens de voir du monde", précise la maîtresse de conférences.

La distance, maître-mot des relations post-Covid ?

Dans le "monde d'après", la distance pourrait-elle devenir le maître-mot de nos relations ? Crédit : Pixabay

D'ailleurs, et c'est probablement ce qui a le plus touché les vies des Français : les relations sociales pourraient-elles durablement changer ? Dès le début de la crise, les restrictions sanitaires et les gestes barrières ont poussé à une utilisation record des applications de rencontre. Tinder, Once, Happn : toutes ont profité de la fermeture des bars et connu une flambée de nouveaux utilisateurs dès le début du premier confinement. A la mi-avril, Le Parisien rapportait que le service français Once avait enregistré une hausse de ses téléchargements de 30% depuis le mois de mars. Même constat pour les logiciels de visio-conférence tels que Zoom, dont le succès a explosé depuis le début de la crise.

Dans ce "monde d'après", les jeunes et étudiants seraient d'autant plus affectés, en pleine construction sociale. Depuis le début de la crise et la mise en place des cours à distance, ils se sont retrouvés totalement privés de quelque esprit de promo que ce soit. Joséphine est étudiante en première année de Master Projets culturels et artistiques à Paris. Lorsqu'elle a emménagé dans son appartement, en septembre 2020, elle pensait vivre le tumulte bien connu de la capitale aux côtés de ses camarades. Au final, elle ne connaît même pas la moitié de sa promotion. "Le plus triste, raconte-t-elle, c'est que je ne les reconnaîtrais même pas dans la rue, si je les croisais."

Difficulté de créer des liens

Réunis au sein d'un groupe Messenger, les 26 étudiants de sa classe essaient tant bien que mal de "créer des liens". "La seule chose qui nous lie, c'est le travail à rendre. A part ça, il n'y a pas de conversation." La jeune étudiante s'inquiète d'un futur dans lequel les cours en visio prendraient le pas sur tout le reste, pour des soucis de facilité. "Je ne veux pas être pessimiste, mais j'ai l'impression que tout ce qui pourra se faire en distanciel se fera en distanciel."

Le respect des gestes barrières a imposé à toute la société une distanciation sociale, devenue maîtresse des relations interpersonnelles. Un nouveau mode de vie, sans bise ni accolade, qui a notamment provoqué l'isolement de toute une catégorie de la population : les personnes âgées. Éloignées de force du reste de leurs proches, ils ont souvent dû vivre la crise seuls, pour le bien de leur santé. Mais depuis que la vaccination a été rendue possible pour elles, un "retour à la normale" semble s'opérer. Va-t-il se concrétiser pour l'ensemble de la société ?

Rachel Rodrigues

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