Réforme de la justice : 3 questions sur l’enregistrement et la diffusion des procès

En 2019, le Conseil constitutionnel avait réitéré son opposition à la captation vidéo et la diffusion des audiences, interdite depuis 1954. (crédit : Pixabay)

Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a présenté les grandes lignes du projet de réforme de la justice attendu à l’Assemblée mi-avril, dans un entretien au Point, mardi 2 mars dernier. Parmi les grandes mesures annoncées, l’enregistrement et la diffusion des procès, jusque-là réservée aux procès “historiques”, reviennent sur la table.

C’est une des marottes du ministre de la Justice depuis qu’il est arrivé à son poste à l'été 2020 : la question de l'enregistrement et de la diffusion des procès va à nouveau être à l’ordre du jour en France. Interdite par la loi depuis 1954, la captation vidéo est, à l’heure actuelle, exceptionnellement autorisée “pour l’Histoire” et à des fins d’archive, depuis la loi Badinter de 1985.

Dans un entretien au Point, Eric Dupond-Moretti a affirmé sa volonté de généraliser cet enregistrement, dans le cadre du projet de loi de réforme de la Justice attendu mi-avril à l’Assemblée nationale. Retour en quelques questions sur une mesure qui fait régulièrement débat en France.

Quelle est la volonté de Eric Dupond-Moretti ?

Dès sa prise de poste, l’avocat de profession avait fait part de sa volonté dans un entretien au Parisien, fin septembre 2020. "Je suis pour que la justice soit filmée et diffusée. La justice doit se montrer aux Français. La publicité des débats est une garantie démocratique", avait-il déclaré.

Pour le ministre, l’objectif est clair : il faut renouer le lien de confiance entre les Français et leur justice. C’est ainsi que, "dans une double optique de transparence et de pédagogie", l’enregistrement et la diffusion des procès permettraient, selon lui, de sensibiliser le grand public à leur système judiciaire.  "Si les Français n’ont pas suffisamment confiance dans leur justice, c’est d’abord parce qu’ils la connaissent mal", a-t-il ainsi expliqué dans son entretien au Point.

La publicité des audiences ne concernerait pas uniquement les procès de justice pénale mais également les audiences civiles. "Je pense que les Français seront très intéressés de savoir comment se déroule une procédure de divorce", a-t-il ajouté. Il précise : "Il ne s'agit pas de verser dans le trash, le sensationnalisme. L'idée est de prendre les citoyens qui le souhaitent par la main (...) et leur montrer comment ça marche."

Comment cela pourrait-il être mis en place ?

D’un point de vue légal, le ministre a expliqué que les audiences pourraient être filmées pour la télévision, sur le service public, et sur autorisation du ministère de la Justice. Toutes les audiences ne seraient donc pas concernées par une diffusion et chacune d’entre elles devrait faire l’objet de demandes préalables auprès des différents parties au procès.

Dans son entretien au Point, Eric Dupond-Moretti a prévenu qu’il faudrait réunir plusieurs conditions essentielles à l’enregistrement de ces audiences. Il a évoqué la nécessité de prendre certaines précautions pour les victimes et les accusés, notamment au regard des questions de droit à l’oubli ou de respect de la présomption d’innocence.

En ce qui concerne, enfin, la temporalité de la diffusion, le ministre est clair : il n’y aura pas de procès médiatique. "L’audience ne sera diffusée qu’une fois le jugement définitif donné", pour ne pas interférer avec les décisions de justice, a affirmé Eric Dupond-Moretti lors de son entretien sur France Inter, mercredi 3 mars.

Quelles inquiétudes cela pose-t-il ?

La garantie du droit à l’oubli pose d’autant plus question qu’elle peut être compromise par le manque de régularisation de l’espace numérique : "Aujourd'hui, tout ce qui se retrouve sur le net est incontrôlable", déplore l’avocate Valérie Duez-Ruff, avocate et membre du Conseil National des Barreaux, contactée par nos soins.

"De nombreuses questions logistiques restent encore à éclaircir concernant le nombre de personnes à consulter avant de donner l’accord à un enregistrement vidéo et une diffusion télévisée. Est-ce qu’on demande à l’accusé ? Aux témoins ?", poursuit, à son tour, une avocate, qui a requis l’anonymat. Dans son entretien de la matinale de France Inter, le ministre avait notamment affirmé que "les familles des victimes" seraient également consultées, sans donner plus de détails.

La généralisation de la diffusion des procès est loin de plaire à tout le monde, dans l'institution. Pour Valérie Duez-Ruff, l’objectif "pédagogique" que s’est fixé le ministre risque très fortement de ne pas être atteint. "Les conseils des prud’hommes risquent de n’être jamais compris par les justiciables", explique l'avocate, qui s'inquiète notamment de difficultés à témoigner de la réalité des délais propres au monde de la justice.

De manière générale, filmer et diffuser les procès seraient rompre avec une tradition éthique de protection de l'anonymat et du droit des victimes, à laquelle tout le monde n'est pas prêt à faire ses adieux : "C'est toute la préservation de l'intérêt des partis qui tomberait à plat", ajoute l'avocate. Si sur France Inter, mercredi, le ministre a glissé l'hypothèse d'un "floutage" des différents partis, la question de l'anonymat reste encore trop vague pour l'avocate.

L’idée de faire entrer les caméras en salle d’audience n’est pas nouvelle, en France. Mais pour l'heure, elle n'a jamais réussi à convaincre. En 2019, le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs réitéré son opposition à une captation vidéo et diffusion des procès, estimant que l'interdiction de 1954 était "nécessaire" pour prévenir toute atteinte à la vie privée. Le projet de loi de réforme doit être débattu au Parlement dans le courant du mois de mai.

Rachel Rodrigues

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