Pascale Descamps : "Je veux que ma fille partie en Syrie soit jugée en France"

En 2015, la fille de Pascale Descamps rejoignait l'État islamique, en Syrie, comme près de 700 Français. Elle laissait derrière elle une mère pleine de regrets qui a entamé une grève de la faim pour réclamer son rapatriement et celui de ses quatre enfants.

Pascale Descamps est "fatiguée", "amaigrie" mais "se bat pour sa fille". La mère de famille de 55 ans ne s'alimente plus depuis 45 jours, elle a entamé une grève de la faim le 1er février dernier afin de réclamer le rapatriement de sa fille et de ses quatre petits-enfants, détenus dans le camp Roj 2 dans le nord-est de la Syrie, après avoir déserté les rangs de l’État islamique. Elle veut que "sa fille soit jugée en France, selon le respect du mandat international qui la poursuit et rende des comptes pour avoir rejoint la Syrie" et espère ainsi clôturer le chapitre qui mortifie sa vie depuis six ans. 

"Prends soin de toi, Maman"

2015. Les jouets des enfants d’Alice* traînent encore au milieu du salon. La jeune femme, installée dans le sud de la France avec son conjoint, est montée à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) rendre visite à sa mère, fonctionnaire, qui dispose d'une semaine de congés. Les sept jours de vacances se sont écoulés paisiblement et devait en appeler d’autres. Au moment du départ, Alice promet à Pascale de l'appeler dès son arrivée et répète "prends soin de toi, Maman" en l’enlaçant. Cette phrase qui sonne comme une politesse ordinaire prononcée sur le pas de la porte de l’entrée, Pascale la répète inlassablement en essayant d’y deviner un au-revoir maquillé, des adieux peut-être. Elle ne reverra plus la silhouette frêle de sa fille. Quelques semaines plus tard, Alice annonce à sa mère avoir "répondu à une obligation", en rejoignant le Djihad avec son mari et leurs trois enfants, sans préciser si cette obligation renvoyait à la religion ou à l'emprise que pouvait faire peser l'environnement dans lequel elle vivait, ce que croit sa mère.

Lorsqu’il est question de raconter son histoire et le parcours de sa fille qui s’y rattache, Pascale Descamps devance les premières questions et devine les suivantes. Elle multiplie les détails, même les plus inconfortables sur la vie en Syrie - comme ces familles affamées qui mangeaient des oiseaux vivants pour survivre - afin que "les gens puissent comprendre". Expliquer ce qu’il s’est passé, elle y épuise ses nuits depuis six ans. "C’était une question de rencontres et de moments", a-t-elle fini par se résoudre. Fille unique, Alice a découvert la religion musulmane en côtoyant des copines du collège et l’a embrassée dans le sillage de son premier amour à l'âge du lycée. Elle se convertit mais relâche peu à peu les préceptes religieux au moment de sa rupture.

Ce n'est qu'au moment de sa rencontre avec son mari qu'elle renoue avec la religion. Pascale n'en dira pas plus, lassée de ressasser les signes qu"elle aurait dû voir" et qui renvoient à sa propre culpabilité. "Je me dis que j'aurais pu faire différemment, que j’aurais pu la sortir de là", se persuade-t-elle avec amertume. Désormais, la Boulonnaise "ne veut plus regarder derrière elle" et préfère "se tourner vers l'avenir". "Sans être pompeux ou grandiloquent, Madame Descamps force l’admiration. Son courage est admirable car elle se relève sans cesse", assure son avocat Emmanuel Daoud. "On devrait davantage écouter ce qu’elle a à dire", assure Charline Delporte, présidente du Centre national d'accompagnement familial et de formation face à l'emprise sectaire (CAFFES) qui accompagne Pascale Descamps dans son combat. Elle a été la première à lui parler "d'emprise sectaire" que la mère de famille met désormais en avant pour expliquer le départ de sa fille.

Un départ et des silences

"Lorsque ma fille m’a annoncé qu’elle était en Syrie, j’ai cherché à maintenir le lien affectif." La mère a des nouvelles, par notes vocales, quand les bombes ne pleuvent pas. Sa fille cherche pourtant à la rassurer, cache la famine, vantant à sa mère une vie au bord de l'eau qu'elle n'a pas. Au début de l'année 2018, Pascale passera près d’un an sans avoir de nouvelles, elle la croit disparue. Pendant ce temps d'attente, la mère de famille mène sa propre enquête en espérant tomber sur des signes de vie de sa fille. Elle épie Google Earth pour décortiquer les positions où sa fille pourrait se trouver, épluche les cartes publiées dans la presse et se rapproche de reporters de guerre pour suivre de près l'évolution des bombardements de la coalition internationale. Puis sa fille, un matin de 2019, reprend contact et lui annonce son remariage, la naissance de son quatrième enfant, et la mort de son second mari. "J'étais soulagée de la savoir en vie"

À l’automne 2019, l'assaut de la coalition internationale démantèle le califat de l'État Islamique, Alice se retranche dans les camps tenus par les forces kurdes, au sud-est de la Syrie. Comme près de 80 Françaises et 250 enfants, selon les chiffres avancés par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), elle vit dans des conditions insalubres. Alice souffre depuis quelques semaines d'une maladie diagnostiqué par l'hôpital local. "Nous réclamons un rapatriement sanitaire car nous estimons que la fille de Madame Descamps et ses enfants font l’objet de traitements inhumains et dégradants et surtout parce que la mère de famille est poursuivie par un mandat international qui impose de la judiciariser en France.", explique Maitre Emmanuel Daoud, son conseil. Une initiative appuyée par quelques députés français et européens qui plaident pour le rapatriement des djihadistes français et s’étaient rendus en Syrie, en mars, sans pouvoir accéder au camp. Le député Hubert Julien-Laferrière qui faisait partie de la délégation détaille leur prise de position : "Il ne faut pas que la France consente à laisser ces femmes dans la nature. Avec l’endoctrinement et les conditions dans lesquelles elle vivent, les femmes et les enfants vont en sortir avec la volonté en découdre."

Une politique française invariable

Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian maintient que les Françaises doivent être jugées sur place. "C'est une politique davantage tournée vers l'opinion publique que l'intérêt de la France. Mais, gouverner, ce n'est pas sonder !", rétorque Hubert Julien-Laferrière. En ce qui concerne les enfants, l'exécutif défend une politique au cas par cas. Les 35 mineurs rapatriés jusqu'ici sont principalement des orphelins ou des enfants confiés par les rares mères françaises ayant accepté de s'en séparer. "C’est d’une cruauté inouïe de la part du gouvernement de demander à une mère de se séparer de ses enfants", défend Maître Daoud. Un choix insoutenable aux yeux d'Alice dont le plus jeune de ses enfants a 2 ans auquel la mère s'oppose : "Pour l'intérêt supérieur des enfants, ils doivent rester avec leur mère." Pour l’heure, la position française reste invariable. Alors, la mère de famille a décidé de se battre, en entamant sa grève de la faim qu’elle espère davantage utile que les courriels adressés au cabinet du président de la République. "Je suis inquiète car Madame Descamps est très fatiguée. Si elle continue cette grève de la faim, je crains qu’elle tombe malade et ne puisse plus aider son enfant", regrette la responsable associative Charline Delporte. Qu'importe le prix, Pascale Descamps continue de se battre, c'est aussi sa manière d'être comprise.

Hugo Lallier

*le prénom a été modifié

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