Nouvelle-Calédonie : trois candidats pour un gouvernement en crise
En Nouvelle-Calédonie, le prochain gouvernement sera indépendantiste. Mais pour l’instant, aucun des deux candidats du FLNKS n’atteint la majorité absolue, pas plus que l'ancien chef du gouvernement loyaliste. Portraits croisés de ces trois concurrents.
Thierry Santa, Louis Mapou et Samuel Hnépeune. Ces trois hommes se disputent la présidence du gouvernement de Nouvelle-Calédonie : le premier est l'ancien président loyaliste, opposé à l’indépendance de la collectivité française. Les deux autres sont indépendantistes mais peinent à s'accorder sur un projet commun.
Pour la seconde fois ce mardi 2 mars, les membres du gouvernement néo-calédonien ont échoué à élire leur président, un mois après la chute du précédent, qui a périclité à la démission des indépendantistes. Une place à enjeu, alors que le troisième et dernier référendum sur l’indépendance, prévu avant septembre 2022, se rapproche.
Alors que les indépendantistes ont pour la première fois, depuis les accords de Nouméa en 1998, obtenu la majorité, les onze membres du gouvernement collégial doivent à présent voter à la majorité absolue pour l’un des trois hommes. Mais ils n’ont obtenu que trois voix chacun, et quatre pour l'ancien président Thierry Santa.
Du loyalisme à l’indépendantisme radical ou « business-compatible »
"Hnépeune et Mapou partagent une base commune : la volonté d’indépendance. Ce qui les distingue, c’est leur positionnement politique traditionnel, explique Bastien Vandendyck, consultant spécialisé sur la Nouvelle-Calédonie. Mapou a une position plus radicale, surtout économiquement, il est beaucoup plus à gauche. Hnépeune est plus consensuel vis-à-vis de l’indépendance, et davantage « business-compatible »".
Jusqu’à sa candidature au gouvernement, Samuel Hnépeune était en effet président du Médef local, et actuel PDG de la compagnie aérienne Air Calédonie. "Cela suscite du rejet pour une frange du mouvement indépendantiste, très enraciné à gauche. Ces militants ne veulent pas voir l’ancien chef du patronat néo-calédonien comme président du gouvernement", développe l’analyste. Au contraire, si Louis Mapou atteint cette fonction, il sera contraint selon lui de "mettre de l’eau dans son vin, car la présidence d’un gouvernement collégial exige beaucoup de diplomatie, et un sens du consensus".
Les tensions exacerbées par la reprise de l’usine du groupe brésilien Vale participent aussi à séparer les deux courants du FLNKS (Front de libération national kanak socialiste). Le processus de vente de cette usine-clé de nickel à un consortium qui inclut une multinationale suisse a déclenché des heurts en Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs mois. Selon le parti indépendantiste, cette cession se ferait au détriment des populations locales. Certains, comme Louis Mapou, se placent comme "ardents défenseurs de la lutte contre la reprise de l’usine", tandis que d’autres comme Samuel Hnépeune condamnent plutôt les actions violentes des militants sur le terrain et sont favorables à la levée des blocages.
Dans leur communiqué de démission, les indépendantistes se retrouvent pour reprocher au gouvernement de Thierry Santa la crise institutionnelle, économique et sociale que connaît la collectivité, à laquelle s’ajoutent les désaccords liés à l’usine de nickel. Au-delà de cet enjeu, la ligne politique de l’ancien chef du gouvernement tourne autour du "pragmatisme" : des positions libérales et loyalistes de centre-droit. Son mandat se distingue par une "politique sanitaire quasi irréprochable", qui a presque entièrement épargné la Nouvelle-Calédonie du coronavirus.
Deux ténors de la politique néo-calédonienne, un nouvel acteur économique
Bastien Vandendyck décrit Thierry Santa comme "un homme politique du sérail, qui vient d’une vieille famille néo-calédonienne". En politique depuis deux décennies, le président sortant a construit sa carrière en mairie dans la banlieue de Nouméa, sous les couleurs du Rassemblement – Les Républicains. Grimpant les échelons au sein du parti de droite anti-indépendantiste, il est devenu président du Congrès en 2015, puis président du gouvernement de juin 2019 à sa chute en février 2021.
Conseiller municipal dès 1989, Louis Mapou est lui aussi une figure clé de la vie politique néo-calédonienne, de l’autre côté de l’échiquier. Le président au Congrès du groupe UNI (l’Union nationale pour l’indépendance) a par ailleurs travaillé à la direction de plusieurs sociétés de l’industrie du nickel, secteur clé de l’économie néo-calédonienne.
Au contraire, Samuel Hnépeune se présente pour la première fois, même si son rôle central sur la scène économique lui offrait une certaine influence politique. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il décrivait il y a quelques semaines un monde économique "désemparé", face à l’impasse de l’ancien gouvernement loyaliste, dans une interview sur Radio Rythme Bleu. Avant de rejoindre lui-même la course à la présidence : une petite surprise pour Bastien Vandendyck. Mais un choix "assez intelligent", celui d'un homme "ouvert", connaisseur du secteur, alors qu'on reproche régulièrement au mouvement indépendantiste un manque de préparation économique.
Les négociations se poursuivent donc, les indépendantistes devraient parvenir à un accord avant la fin du mois. À défaut, ils verront l’État prendre la main sur le budget néo-calédonien qui doit être voté d’ici le 31 mars. Un risque à éviter pour eux, avant de se lancer dans la préparation du prochain référendum pour l'indépendance.
Maya Elboudrari