Migrants à Grande Synthe : "Les policiers reviennent toujours"
Après une trêve hivernale de courte durée, les opérations de police ont repris contre le campement de migrants de Grande Synthe (Nord). Coincés entre la police et des conditions de vie inhumaines, les exilés rêvent d'atteindre l'Angleterre .
“Le problème ici, c’est le climat.” La voix de Haf est faible, ses yeux sont fatigués. Le jeune égyptien est arrivé dans le campement de Grande Synthe (Nord) il y a 10 jours.“ Entre la pluie et le froid, je n’arrive pas à dormir dans ma tente. Je me réveille toutes les deux heures.” Il a plu une partie de la nuit et le temps ne s’améliore pas ce mardi matin. La boue est partout, tout est trempé. Les habitants du camp de fortune sortent de leurs tentes petit à petit et allument les feux de camp pour se réchauffer. Les associations estiment qu’entre 400 et 500 exilés sont présents dans ce secteur. Très majoritairement des Kurdes. De jeunes hommes, quelques familles, plusieurs enfants parfois très jeunes.
Le lieu est un ensemble d’abris dispersés dans la forêt du Puythouck, un espace naturel caché derrière une zone commerciale. Après une trêve hivernale de courte durée, les opérations de police ont repris. Deux ont eu lieu la semaine dernière, la température moyenne du mois de mars est pourtant d'entre 5 et 10°C seulement. “Je ne pourrais même pas vous dire combien de fois on a détruit ma tente”, raille Mustafa, résigné. Ce Kurde est arrivé d’iran il y a 2 mois. Comme beaucoup, il s'est vu proposer des places en centre d’hébergement loin de la côte, mais son objectif n’est pas la France. “Les gens sont très gentils ici à part la police, mais on ne peut pas travailler sans papier en France. Tout le monde vise le Royaume Uni.” Le jeune homme montre sur son téléphone les vidéos de sa tentative de passage il y a quelques semaines. On voit une embarcation pneumatique visiblement mal en point, un bateau des autorités leur porte secours. “J’ai déjà tenté la traversée en bateau et en camion plusieurs fois, sans succès. J’attends que le temps s’améliore pour réessayer."
Les derniers kilomètres pour atteindre ce rêve de l’autre côté de la manche restent difficiles et dangereux. Della a tenté la traversée 10 fois en un mois. Le Kurde irakien, ici avec sa sœur et ses deux enfants en bas âges, assure qu’il recommencera. “On a fui Kirkouk (nord de l’Irak) et la guerre. La situation est invivable ici entre les opérations de police et le froid”, lance-t-il calmement derrière ses yeux verts.
Laure Pichot, coordinatrice locale d’Utopia Grande Synthe, fait régulièrement des maraudes auprès de ces exilés. “A Grande Synthe, on ne peut même pas parler de camp, c’est plus précaire que ça. Tout a été déplacé la semaine dernière, la mairie a bougé le point d’eau qui est simplement un abreuvoir rouillé avec deux tuyaux. Ils parlent de travaux pour justifier les expulsions, mais c’est clairement du harcèlement.”
Les associations sont unanimes, il n’y a peu ou pas d’échanges avec la mairie et la préfecture. Aucun dialogue non plus avec les forces de police avant et en amont des expulsions. “Quand un démantèlement a lieu, personne ne nous avertit, explique Adam Salih de Human Right Observer. On le découvre le matin en voyant les camions de police sur le parking du Auchan à côté du camp.” L'association, qui recense les actions de polices à Grande Synthe, a recensé 5 expulsions en février et 461 tentes ou bâches saisies.
Plus qu’un manque de communication, c’est aussi une animosité des forces de l’ordre contre les associations qui est décrite par Adam Salih : “Des policiers nous filment, prennent en photo nos cartes d’identité, nous intimident. La tension avec les équipes a augmenté". Les récits des exilés sont eux aussi remplis de témoignages des violences qu’ils subissent de la part des policiers. L’usage massif de gaz poivre et lacrymogène contre ceux qui se cachent dans les camions, les coups donnés en cachette derrière les portes des camions de police. Cette semaine, il n’y a pas encore eu d’opération de police au Puythouck. Della ne se fait toutefois pas d’illusion : “On a bougé le camp de nous même il y a quelques jours, mais les policiers vont revenir. Ils reviennent toujours”. Contactés à plusieurs reprises, la Préfecture du Nord et la mairie de Grande Synthe n’ont pas répondu à nos sollicitations.