Libération de Lula : manœuvre politique ou victoire de la justice ?
Le juge de la Cour suprême brésilienne, Edson Fachin, a ordonné ce lundi 8 mars l'annulation de toutes les condamnations de l'ex-président Lula. Dans un pays où la justice est souvent instrumentalisée à des fins politiques, cette décision est-elle une victoire de la vérité ou une stratégie en vue des élections présidentielles de 2022 ?
Il s'agit d'une décision pour le moins inattendue. Le juge de la Cour suprême brésilienne, Edson Fachin, a annulé lundi 8 mars toutes les condamnations de Luiz Inacio Lula Da Silva pour corruption au sein de son parti, le Parti des Travailleurs (PT). Le juge a estimé que le tribunal de Curitiba, au sud du pays, qui s'est chargé du dossier et qui avait condamné l'ancien président dans quatre procès, n'était "pas compétent" pour juger ces affaires. Elles auraient dû se retrouver entre les mains de juges du Tribunal suprême fédéral (STF en portugais) de Brasilia.
Relation étroite entre justice et vie politique
Les condamnations de l'ex-président brésilien ont eu lieu lors de l’opération anti-corruption Lava Jato, dirigée par le juge Sérgio Moro. Au départ, en 2014, celle-ci a été mise en place pour "redonner de la crédibilité à la démocratie brésilienne", explique Laurent Vidal, spécialiste en histoire politique brésilienne à l'université de La Rochelle. Mais l'opération, créée dans un but de transparence, "devient petit à petit un outil offert aux juges pour avoir une unique cible : le Parti des Travailleurs (PT)", ajoute le professeur.
Dans l'opération Lava Jato, "il y a eu plus que des débordements. La justice s’est saisie parfois de manière abusive de certains dossiers, notamment dans le dossier PetroBras. Sérgio Moro a fait une fixation. Il a contacté les médias très vite pour diffuser des écoutes privées entre plusieurs membres du PT", estime Laurent Vidal.
Les preuves ont été jugées comme étant suffisantes pour emprisonner l'ancien président en 2017, rendant impossible qu'il puisse se présenter aux élections de 2018. "Quelques mois après, Sérgio Moro est devenu le ministre de la Justice de Bolsonaro pour montrer qu’il n’y avait pas de séparation entre la justice et la politique, ce qui montre qu’il y avait une intention d'écarter Lula de la scène politique, qui représentait la principale entrave potentielle à la victoire de Bolsonaro", souligne le spécialiste.
Une temporalité suspicieuse
Le juge Sérgio Moro a certes été accusé de faire transparaître son opinion politique dans ces décisions juridiques. Mais le juge Edson Fachin a conservé un lien avec le Parti des Travailleurs tout au long de sa carrière. En 2010, il participe dans une vidéo pour la campagne électorale de Dilma Rousseff, candidate du PT et élue présidente du Brésil en 2011. Et depuis 2015, il occupe une place de juge au sein de la Cour suprême.
Des juges aux idées politiques proches de celles du PT siègent au Tribunal suprême depuis des années, bien avant la condamnation de Lula en 2017. Alors pourquoi avoir annulé sa condamnation le 8 mars ? Pour Laurent Vidal, c'est en raison des prochaines élections présidentielles de 2022. "Ça redistribue les cartes. Depuis les dernières élections présidentielles, Bolsonaro a perdu de plus en plus de place et de respect car il n'a pas su gérer des moments critiques pour les Brésiliens, notamment celui de la pandémie."
Un sondage publié par le journal brésilien Folha de Sao Paulo situe la popularité du président Bolsonaro à 60 points, soit 20 de moins qu'en 2020. Celle du PT est à 55,9, ce qui suppose un danger pour le président actuel "qui s'inquiète pour sa place lors des présidentielles", d'après Laurent Vidal. Cette annulation redonne à Lula ses droits politiques et modifie les calculs des prochaines élections. Reste à savoir s'il demeure le meilleur candidat d'un Parti des Travailleurs affaibli par la corruption et la crise économique ou s'il préfèrera céder sa place en 2022.
Elena García