Les internes en médecine à l'épreuve du Covid-19

Certains internes ont dû manquer plusieurs semaines de formation, pour prêter main forte dans les hôpitaux. Crédits : Pixabay

L'année de pandémie a bouleversé l'entrée des jeunes médecins dans la vie active. Au milieu de la vingtaine, les internes des hôpitaux ont vécu l'expérience de la mort au quotidien. Leur engagement professionnel les a mis à l'épreuve : il a fallu mettre ses sentiments à distance, sans bénéficier d'un sas de décompression.

Il y a un an, le 17 mars 2020, la France se calfeutrait pour deux semaines. Les hôpitaux, dépassés par le nombre de contaminations au coronavirus, appelaient en renfort les étudiants de médecine. Le service de Stella, 26 ans, en première année d’internat aux urgences de l’hôpital Beaujon (Clichy), se transforme en unité Covid-19. “La première année d’internat, c’est le moment où tu arrêtes de bouffer des bouquins pour apprendre sur le tas. Tu apprends à communiquer avec les patients, les familles…”, explique la jeune médecin généraliste. “Mais à partir de mars, tout à coup, on s’est mis à voir nos patients mourir à la chaîne et à devoir annoncer les décès au téléphone”.

La période extrêmement éprouvante pour l’ensemble de la population a été un baptême du feu pour les jeunes internes. Entre isolement social, détresse étudiante, et pénibilité du travail, l’année a fait sombrer nombre d’entre eux dans l’épuisement professionnel. “Quand on est médecin, on apprend à ne pas parler de nos ressentis, on se protège. Et puis un jour c’est le patient de trop, on fait un burn out et puis on repart !”, sourit Stella, l’œil noir. “Des gens normaux péteraient un câble…” Lorsqu’elle évoque la première vague de la pandémie en France, elle se souvient de ses trajets à pied pour rentrer chez elle, seule la nuit dans les rues vides. Elle pleurait parfois tout le long du chemin.

“Rendre les soins plus humains”

Coralie a choisi la pédiatrie parce qu’elle “adore les enfants” et qu’ils "ont des capacités de récupération exceptionnelle". Le jour du confinement, son service ferme et l’étudiante de septième année rejoint les services Covid-19 de l’hôpital François Quesnay (Mantes-la-Jolie). “J’ai eu trois ou quatre jours de formation accélérée et puis on m’a confié huit patients atteints du coronavirus.”

La nature des pathologies, l’âge des patients et leurs “capacités de récupération” changent du tout au tout. “Autant de morts d’un coup, c’était la première fois”, se souvient Coralie. “Les familles n’avaient pas le droit de voir les corps alors on proposait de glisser des dessins ou des messages dans les draps. On faisait ce qu’on pouvait pour rendre les soins plus humains”. À la vingtaine, cette jeune médecin a été confrontée du jour au lendemain à l’amertume de “ne pas pouvoir soigner” et à la violence des soins de réanimation.

Après un passage en "réa", une patiente de 78 ans a fait quatre tentatives de suicides. “Trois jours avant, elle était autonome, chez elle, et puis d’un coup elle cherchait à s’étouffer avec un coussin ou en avalant des mouchoirs…”, souffle Stella. “Si tu sais à quoi t’attendre en démarrant ces études, tu ne les fais pas”.

Des études bouleversées

Dans ces circonstances exceptionnelles, celles qui ont choisi la médecine - “cette merde” écrit Louis-Ferdinand Céline - ont appris plus vite que les précédentes générations à mettre de la distance entre leur métier et leurs émotions. “En temps normal, les internes aiment bien sortir le soir pour penser à autres choses”, explique Léna, représentante de promotion de l’UFR parisien Diderot - Descartes. “Depuis un an, avec les confinements, les couvre-feux, on peut moins se divertir, alors on ressasse plus facilement”.

Le Covid-19 a bouleversé le cours des études de l'étudiante en médecine générale. Mobilisée dans un service d’urgence au milieu d'un stage en pédiatrie, Léna a manqué plusieurs semaines de formation au moment de la première vague. “Puis cet hiver, il y a eu très peu d’enfants malades grâce aux masques et au lavage des mains. Donc je n'ai pas été confrontée aux épidémies habituelles de gastro ou de bronchiolite”, ajoute-t-elle avant de souligner la multiplication des cas de dépression et de suicide chez les jeunes. “On voit peut-être pas autant de choses que ce qu’on devrait voir normalement, et le quotidien est plus répétitif. Plus triste aussi”.

Comme ses collègues, elles se félicite en revanche de l’extraordinaire atmosphère de solidarité développée dans les services hospitaliers pendant la période. “Ça nous appris à vivre en équipe, à compter les unes sur les autres”, dit-elle. “Humainement, c’était incroyable”, abonde Coralie. Toutes se rappellent avec nostalgie le mouvement de soutien aux soignants pendant la première vague, les applaudissements, les gâteaux, les dessins. “Il y a quelques jours, j’ai reçu un mail de remerciement aux « travailleurs essentiels », ils avaient oublié les soignants”, lâche Stella. Elle hausse les épaules : “On ne fait pas ça pour la gloire”.

Léo Thomas

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