Les inégalités économiques entre les femmes et les hommes se nichent aussi à la maison
En cette journée internationale des droits des femmes, Le Bouillon fait le point sur une notion importante, mais dont certaines s’emparent peu : l’argent. Comment gérer ses comptes, ses impôts, ses achats, lorsqu’on est mariée ou pacsée ? Des questions loin d’être romantiques, mais primordiales pour ne pas se faire avoir.
Saviez-vous que l’inégalité patrimoniale entre les hommes et femmes est passée de 9 % en 1998 à 16 % en 2015 ? Alors que les droits des femmes semblent globalement progresser, on ne parle que très peu de leurs droits économiques qui sont – théoriquement - exactement les mêmes que ceux des hommes. Dans le milieu du podcast, Titiou Lecoq et Victoire Tuaillon se sont chacune saisi de ce sujet, encore trop peu abordé dans les médias. On peut aussi citer le livre de Sybille Gollac et Céline Bessière : Le Genre du capital, comment la famille reproduit les inégalités.
Selon l’INSEE, dans le privé, l’écart de salaire moyen entre les hommes et les femmes s’élève à 28,5 %. Une différence qui entraîne souvent, au sein des couples hétérosexuels, toute une ribambelle d’injustices. Pensions alimentaires, répartition des dépenses, achat d’une maison, impôts… Des écarts qui ne paraissent pas forcément problématiques au départ, mais qui se révèlent en cas de séparation ou de décès, selon Héloïse Bolle, conseillère en gestion de patrimoine chez Oseille et compagnie et autrice de Les bons comptes font les bons amants : "Quand on a 20 ans, l’argent est principalement un problème pour boucler ses fins de mois, pas un sujet d’avenir. Et puis on se rend compte que c’est bien plus qu’un sujet quotidien, c’est une sécurité en cas d’accident, pour anticiper sa retraite, s’autoriser plus de choses…"
Cette prise de conscience est si progressive qu’on a souvent tendance à se lancer dans l’aventure du couple sans aborder le sujet de l’argent. "C’est tout sauf romantique, c’est vrai. On se met ensemble et directement on fait les comptes, bonjour la confiance et la générosité ! Mais il ne faut pas faire l’autruche. Tous les couples rencontrent un jour ou l’autre un problème. L’amour c’est super, mais il faut aussi payer ses factures et se mettre à l’abri !"
"Il faut avoir un compte à soi"
Souvent, les dépenses du quotidien sont réparties de manière égalitaire. C’est le cas pour Sophie, 26 ans, qui vit avec son compagnon depuis 2 ans : "Pour le loyer et pour les courses, on fait 50 – 50. Ça nous a tout de suite paru évident, on a toujours fonctionné sur un principe d’équité. Si l’un d’entre nous traverse une phase difficile, on avance le loyer par exemple, mais on se rembourse toujours."
Cette manière de fonctionner peut être inégalitaire, justement, si un membre du couple gagne plus. Dans ce cas, alors que l’un peut mettre l’argent qui lui reste de côté, et donc constituer un capital, l’autre se retrouve les poches vides à la fin du mois. Selon Héloïse Bolle, "c’est très dangereux". La solution : répartir les dépenses au pro rata des revenus de chacun. "J’essaie vraiment de sensibiliser les femmes : préoccupez-vous de ça très tôt ! Anticipez, prévoyez, pour vos finances à vous. Il faut savoir identifier ce qui est commun et ce qui est propre."
Se pose alors la question du compte commun, que beaucoup de couples semblent adopter en France. C’est le cas de Mathilde et Alexandre, qui habitent ensemble sans être mariés ni pacsés : "On a un compte commun et chaque mois on y met la même somme. Avec, on paye l’intégralité des dépenses du couple. Et j’ai un compte séparé pour mes dépenses personnelles", explique-t-elle.
Le choix d’avoir un compte personnel dans tous les cas est important, selon Héloïse Bolle. Même en cas de mariage sous le régime de la communauté (qui signifie que tous les revenus des deux membres du couple appartiennent aux deux, et qui s'applique par défaut lorsqu'il n'y a pas de contrat) : "Je pense que même dans ce type de situation, il faut avoir un compte à soi, rien que pour des raisons psychologiques et ne pas se sentir contrôlée par l’autre. Personnellement, je considère que dans une génération où les femmes travaillent, un régime de la séparation des biens convient mieux, tout en ne s’empêchant pas d’acheter des choses à deux, bien sûr. Ça s’éloigne d’une vision romantique du couple qui partage tout, mais ça évite des surprises."
Et par surprises, on peut penser à cet exemple : le remboursement d’un emprunt pour l’achat d’un bien immobilier. "Si une personne achète un appartement ou une maison seule en prenant un crédit et ensuite se marie sous le régime de la communauté, la partie restante du crédit, dès le jour du mariage, est remboursée avec cet argent commun. En gros, vous pensez que vous remboursez quelque chose qui est à vous, alors que plus vraiment", alerte Héloïse Bolle.
Une répartition des dépenses encore archaïque
Autre dérive possible avec les impôts, dont la plus extrême : qu’au sein d’un couple marié sous le régime de la séparation des biens, l’époux paye aussi pour sa femme. En cas de divorce, certains réclament le remboursement de ces paiements. "C’est rare, mais ça arrive", explique Héloïse Bolle. "Mais même sans arriver à ce stade, l’impôt est une dépense structurante dans le budget d’un ménage. Il n’y a pas de raison que l’on attribue des fonctions aux membres du couple de manière archaïque, dans notre société où les femmes travaillent !" Une répartition désuète, qui se retrouve aussi dans le fait que souvent, les hommes investissent dans la pierre, tandis que les femmes paient les courses et se retrouvent donc à la fin avec des sacs plastiques vides pour seule épargne.
Désormais avec le prélèvement à la source, les couples ont le choix : un taux personnalisé ou un taux individualisé. "Le terme de ‘personnalisé’ est très piégeux, car il s’agit en réalité d’un taux commun, c’est-à-dire que quelque ce soit l’écart de salaires entre les deux conjoints, ils versent le même pourcentage de leurs revenus aux impôts. Dans ce cas, le plus faible est perdant. A l’inverse, le taux individualisé s’adapte aux revenus de chacun." Or, par défaut, c’est le taux le plus injuste qui est appliqué. C’est au couple de faire la démarche d’en changer… encore faut-il être au courant de cette distinction.
Marion Mayer