"Les Marseillais" : derrière Carla et la sorcière, le business des "voyants-voyous"

40% des moins de 35 ans croient en la sorcellerie selon l'IFOP. Crédit : Pexels

Carla Moreau, figure de l'émission de téléréalité "Les Marseillais", est au cœur d’une tourmente peu banale. Accusée sur les réseaux sociaux de recourir aux services d’une sorcière, la starlette clame avoir été escroquée : on lui aurait soutiré 1.2 million d’euros. Chaque année, des dizaines de milliers d'escroqueries à la voyance auraient lieu en France.

C’est une controverse d’un autre temps qui agite les réseaux sociaux et les conversations d’une partie de la jeunesse. Carla Moreau, l’égérie des "Marseillais" sur W9, programme phare de la téléréalité française, est accusée d'avoir recouru aux services d'une sorcière pour nuire à ses concurrentes.

Un sort jeté aux candidats concurrents

Tout commence à la fin du mois de février. Marc Blata, un blogueur installé à Dubaï, diffuse des conversations audios et vidéos entre Carla Moreau et sa voyante Danae, qui se présente sur Instagram comme la "première médium de France". Sur les images, la voyante plante des aiguilles dans une poupée en cire à la demande de la starlette. Toutes deux entendent ainsi jeter un sort malveillant sur d’autres candidats de téléréalité. Ce qui a provoqué une vive indignation sur les réseaux sociaux.

Bilan : des millions de messages sur la Toile et une audience historique, ce lundi 8 mars pour "Touche pas à mon poste", l’émission de Cyril Hanouna sur C8, au cours de laquelle près de deux millions de téléspectateurs viennent entendre les explications de la jeune femme. Celle-ci annonce avoir porté plainte début mars, accusant la voyante d'avoir "abusé de sa confiance" et de l'avoir "escroquée" pendant quatre ans. A la question de Cyril Hanouna sur le montant des sommes versées à la voyante, Carla répond : "J'ai versé 1,2 million d'euros sur les quatre ans".

Des dizaines de milliers d'escroqueries chaque année

L’histoire peut faire sourire mais Carla Moreau ne serait pas la seule victime de "voyants-voyous". "Tous les jours, nous recevons des appels de victimes d’escroquerie", affirme Youcef Sissaoui, le président de l'Institut national des arts divinatoires (Inad) qui encadre les pratiques des 50.000 voyants, marabouts et mages français. "La voyance est une jungle où la faiblesse côtoie la médiocrité", regrette-t-il. Depuis 1987, Youcef Sissaoui traque les charlatans, assiste les victimes et tente d’alerter les pouvoirs publics. Il ne tient plus de registre mais entre 2010 et 2014, il a dénombré pas moins de 5 millions d’escroquerie à la voyance en France. 

La sorcellerie a été interdite pendant trois siècles après l'affaire des poisons. Crédit : Commons.

Le sujet a de quoi déranger. Où commence l'escroquerie en matière de voyance ? Depuis 1682 et l’affaire des poisons sous Louis XIV, la réponse était simple : la voyance et la sorcellerie étaient interdites. L’activité de ceux "qui font métier de deviner, de pronostiquer ou d’expliquer les songes" était frappée d’opprobre. La mesure était comprise dans le Code pénal jusqu’en 1994 et la refonte complète du texte de loi. Depuis, la pratique est tolérée faute d’être interdite. L’Etat s’abstient de juger en morale et ne réprime que l’escroquerie, définie à l'article 313-1 du Code pénal comme le fait de "tromper" quelqu'un en usant de "méthodes frauduleuses". On ne condamne plus les sorcières mais les escrocs.

Les jeunes, plus réceptifs à la sorcellerie

La profession n’est donc encadrée par aucune loi. Pour exercer son activité légalement, il suffit de se déclarer en tant que "profession indépendante". A l'heure actuelle, l’Insee ne répertorie que 2.300 entreprises d’arts divinatoires. Ils seraient pourtant plusieurs dizaines de milliers à exercer selon l'Inad, le plus souvent de manière clandestine. Une jungle donc, que fréquenteraient 15% des Français selon une étude de l’Ifop.

Ce rapport précise aussi que 40% des Français de moins de 35 ans croient en la sorcellerie, une proportion beaucoup plus importante que chez leurs aînés. Ces chiffres sont en constante augmentation depuis une vingtaine d’années, l’Ifop note même que "les parasciences suscitent un phénomène d’engouement majoritaire". De quoi expliquer la tournure prise par l’affaire Carla Moreau.

Instagram, eldorado des charlatans

Sur les réseaux sociaux, les voyants ont trouvé un vivier intarissable d'adeptes. Le compte Instagram de Danae compte plus de 100.000 abonnés. Celui de Sarah AL est suivi par 800.000 personnes sur TikTok, le réseau prisé par les plus jeunes. Là, les charlatans peuvent faire de la publicité.

Un voyant originaire de Reims, visé par plusieurs plaintes pour escroquerie, fait par exemple sa promotion sur Facebook. Pour attester de son don, le jeune homme filme un lampadaire qui s'éteint puis s'allume. "Vous voyez, vous ne croyiez pas à mes pouvoirs", se réjouit-il. Voilà la preuve de l'apparition d'un fantôme avec qui il serait en contact. À en croire les commentaires, il s'agit là d'un gage de sérieux pour ses fans. Pour une séance de magie blanche avec ce médium, il faut compter 70 euros, payable d’avance.

Un business estimé à 3 milliards d'euros par an

Pour faire face à ce que l’Inad définit comme "un racket spirituel", un annuaire de professionnels ayant signé une charte rédigée en lien avec la direction générale de la répression des fraudes est désormais accessible. Pour éviter les "voyants-voyous", "il faut vérifier les techniques employées par le praticien. Le sujet ne doit pas donner d’autres informations que son prénom, c’est le voyant qui doit deviner l’objet de sa demande et ses attentes", explique Youcef Sissaoui.

Avant de se lancer dans une séance, l'association rappelle que la prestation doit faire l’objet d’un contrat écrit. Cela permettra de mener une action en justice (civile ou pénale) pour escroquerie. Le cabinet d’avocats Schaeffer précise à ce sujet qu’il faut pouvoir démontrer que le praticien "a employé de véritables manœuvres destinées à abuser et à convaincre le client de verser de l’argent". Des actions de groupe sont engagées par les victimes devant les tribunaux depuis plusieurs années. Pas de quoi décourager les aigrefins, attirés par un juteux business qui dégagerait 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an.

Pierre Lann

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