Le divorce pour faute, archaïque ou utile ?
Récemment révélé par Mediapart, le dossier d'une femme ayant perdu son divorce pour faute pour avoir refusé des relations sexuelles avec son mari pose la question plus large du maintien dans le droit français de cette procédure, très critiquée mais aussi défendue par certains avocats.
Retour du "devoir conjugal" ou simple application de la loi ? C'est la question que devra trancher la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), saisie le 5 mars par une femme de 66 ans sanctionnée d'un divorce pour faute pour avoir refusé des relations sexuelles avec son mari pendant plusieurs années. Une condamnation dévoilée, mercredi, par le site Mediapart, qui précise que la perdante a vu son pourvoi en cassation rejeté. Une décision qui l'a poussée à saisir la CEDH, qui proscrit le "devoir conjugal" depuis 1995. Et qui pose la question plus large du maintien, dans le droit français, du divorce pour faute relié à des obligations vieilles de deux siècles.
Selon l'article 212 du Code civil, "les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie". Ce qui, d'après plusieurs experts interrogés, sous-entend notamment d'entretenir des relations sexuelles. L'article 242 ajoute que "le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune." Ainsi, le refus renouvelé d'avoir des relations sexuelles peut constituer une "faute" dans le mariage aux yeux de la loi. Cela avait déjà été le cas en 2011 : un homme de Nice avait été condamné pour le même motif.
Anne-Claire Joseph, avocate parisienne en droit de la famille, pointe que les articles du Code civil définissant ces fautes sont à la fois "imprécis" et l'héritage d'un contexte historique très différent : "Il n'est pas fait mention explicitement des relations sexuelles, c'est simplement sous-entendu. Or, il faudrait préciser car si en 1804 (date de création du Code civil, ndlr), ce sous-entendu avait été maintenu pour des considérations de procréation, en 2021 c'est plus difficilement entendable."
"Cela complexifie les relations humaines"
Ces divorces pour faute ne représentent plus aujourd'hui que moins de 10% de ces procédures. Certains de nos voisins y ont déjà renoncé. La Belgique l'a par exemple aboli en 2007. "La loi belge a considéré que c'était de nature à complexifier les relations humaines et que cela faisait entrer dans le débat juridique des questions qui n'étaient pas de son ressort", explique une avocate parisienne spécialisée en droit de la famille. Pour elle, le divorce pour faute est "malsain" : "Il tente avant tout de répondre à la question de qui est coupable de l'échec d'un mariage, mais est-ce qu'il faut à tout prix chercher un coupable ?"
"C'est une question presque philosophique qui se cache derrière le divorce pour faute : quelle est la conception du couple que l'on défend ?", poursuit Estelle Gallant, docteure en droit et professeure de droit privé à l'Université Toulouse 1 Capitole. "C'est pour cela que plus j'y réfléchis, plus je pense que ce qui est anachronique dans cette affaire, ce n'est pas tant la faute retenue mais le fait même que le conjoint ait invoqué un divorce pour faute."
Trouvant aussi la notion d'obligation d'"accomplir son devoir conjugal" archaïque, Anne-Claire Joseph estime qu'on peut s'interroger sur l'existence même d'obligations au sein du mariage : "Cela pose la question de savoir si on considère la sexualité dans le couple comme un élément indispensable du mariage ou non." "On peut discuter de la pertinence des obligations liées au mariage, comme la fidélité ou la communauté de vie, certes, argue notre spécialiste parisienne du droit de la famille. Mais on peut aussi se demander : s'il n'y a plus ces obligations, à quoi cela sert-il d'être mariés ?"
Respect du contrat
Ce que craignent en effet plusieurs de ces spécialistes, c'est que la suppression du divorce pour faute - et donc des "fautes" qui y sont liées - vide de sa substance le contrat du mariage. Une idée par exemple exprimée par Patrick Lambert, avocat en droit de la famille à Lille : "Le mariage est un contrat. Or, dans ce contrat, il est stipulé d'une part que les époux se doivent respect, fidélité, secours et assistance et d'autre part, que les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie". Pour lui, les mariés ont conscience de ces exigences lorsqu'ils choisissent de s'unir. "Si on veut être honnête intellectuellement, il est normal qu'on laisse la possibilité d'une sanction en cas de manquement à ce contrat", poursuit-il.
Concrètement, l'avocat revendique le droit pour la "victime" d'un problème conjugal d'obtenir des explications : "Si on supprime le divorce pour faute, on accepte le fait de s'engager dans des obligations et de pouvoir les balayer en un clin d’œil. Mais quand on a été trahi, on a le droit de demander des comptes." La suppression de cette procédure pourrait, juge-t-il, s'avérer problématique par exemple dans les cas d'adultère : "Imaginez une personne X que son conjoint Y a trompé. X demande le divorce à l'amiable mais Y refuse. S'il n'y a plus de divorce pour faute, que peut faire X ?"
Reconnaissance de la douleur
Néanmoins, Patrick Lambert admet que de moins en moins de divorces pour faute sont prononcés. "En tant qu'avocat, on n'encourage pas nos clients à aller vers ça. C'est très coûteux et purement symbolique, tempère-t-il. On peut demander des dommages et intérêts mais ça ne vole jamais très haut."
Quel intérêt, alors ? Un soulagement psychologique lorsqu'un divorce est accordé pour faute de l'autre. Pour certains, être reconnu comme "victime", ou à tout le moins que l'autre soit reconnu(e) comme "en tort", est "une question de principe et d'honneur", selon l'avocat. La procédure peut aussi permettre de reconnaître officiellement la douleur ou les souffrances de celui ou celle qui la sollicite. Pour Estelle Gallant, elle peut aussi "donner le temps de faire le deuil d'une relation". Des associations féministes réclament par ailleurs le maintien de cette notion afin qu'elle puisse être utilisée en cas de violences ou de viols conjugaux.
Eglantine Puel