[Interview] "Le rachat de Châteauroux par un prince saoudien est une bonne affaire"

Krusin

Depuis quelques semaines , une rumeur annonce le rachat par des investisseurs saoudiens de l'Olympique de Marseille. L'achat d'un club français a bien été confirmé, mais il s'agit de celui de Châteauroux, bon dernier de Ligue 2.

Nabil Djellitt, un journaliste de France Football, s'en amuse ce matin sur Twitter : même Châteauroux vaut mieux que l’OM, piteusement battu par des amateurs en Coupe de France, le 7 février. La preuve, c’est La Berrichone de Châteauroux qui a été rachetée par le prince saoudien Abdullah Bin Mosaad, qui est déjà propriétaire de plusieurs autres équipes européennes et asiatiques, alors que le club est dernier de Ligue 2 et évoluera probablement en National (troisième division) l’an prochain. La comparaison est-elle fallacieuse ? Pour le comprendre, trois questions à Pierre Rondeau, co-directeur de l’Observatoire Sport et Société à la Fondation Jean-Jaurès et spécialiste de l’économie du football.

Le Bouillon : L’achat du club de Châteauroux par un prince saoudien est-il comparable à l’éventuel rachat d’un club de plus grande envergure comme l’OM ?

Pierre Rondeau : Ces deux situations n’ont rien à voir. Les rachats du PSG par le Qatar, de Manchester City par les Émirats arabes unis ou du Paris FC par le Bahreïn répondent à des objectifs purement géopolitiques. Ces pays du Golfe n’ont pas les moyens militaires, démographiques ou économiques pour peser sur la scène internationale face aux États-Unis, à la Chine et à l'Union européenne. Ils sont obligés de déployer une stratégie plus subtile de soft power afin d’améliorer leur image de marque. Le sport est une bonne manière de le faire, comme on l’a vu au cours de la guerre froide avec l’affrontement soviético-américain aux Jeux olympiques, ou plus récemment avec la course aux médailles qui se déroule tous les quatre ans entre la Chine, la Russie et les États-Unis.

Donc, quand un club de football est racheté par des fonds d’investissement étatiques du Golfe, il y a une feuille de route, des objectifs précis qui doivent servir les intérêts des gouvernements. Dans le cas de Châteauroux, c’est tout à fait différent : le prince Abdullah Bin Mosaad est là en tant qu’investisseur privé, et la seule chose qu’il cherche, c’est la rentabilité.

De quelle façon Châteauroux peut rapporter de l’argent Abdullah Bin Mosaad ?

Le prince fait une bonne affaire : il récupère un club français professionnel, avec une structure compétitive, pour un prix qui sera probablement très bon marché. Châteauroux dispose d’infrastructures, d’une organisation, d’une réputation, et d’un savoir-faire indiscutable.

Dans le même temps, le club est dans une situation compliquée sur le plan sportif : il est dernier du championnat de Ligue 2, et il y a de grandes choses qu’il soit relégué en National la saison prochaine. De plus, il subit la crise économique liée à la pandémie de Covid-19 de plein fouet. Cela fait évidemment baisser son prix et c’est difficile de savoir exactement jusqu’à quelle somme. Mais quand on voit que le Toulouse FC a été revendu à un fonds d’investissement américain pour 20 millions d’euros, on peut s’attendre à ce que Bin Mosaad débourse entre 10 et 15 millions d’euros pour Châteauroux, pas plus.

Aujourd’hui, avec les problèmes concernant les droits télévisuels, la principale manière de faire de l’argent avec un club est l'échange de joueurs. Je trouve extrêmement dommageable que l’on considère les footballeurs comme de simples actifs financiers, mais c’est comme cela que le marché fonctionne. En s’appuyant sur le savoir-faire français dans le domaine de la formation, Abdullah Bin Mosaad peut espérer faire de nombreux micro-profits sur ses sportifs. S’il parvient à former un footballeur pour 1 million d’euros, et qu’il le revend pour 10 millions à un autre club européen, il fait une plus-value très intéressante de 9 millions d’euros. Mais le but n’est pas, comme avec les investissements étatiques, de faire de Châteauroux l'un des meilleurs clubs de France ou d’Europe.

Comment Abdullah Bin Mosaad peut-il créer une synergie entre les différents clubs qu'il possède ?

On pourrait penser que Châteauroux est une sorte de club-satellite, et que l’organisation mise en place par Abdullah Bin Mosaad est similaire à celle du City Football Group, qui administre notamment Manchester City. Des petits clubs sont agrégés à un équipe extrêmement compétitive, afin de fournir un vivier de joueurs jeunes et talentueux au club qui constitue le centre de la galaxie.

Parmi les clubs détenus par Abdullah Bin Mosaad, l’équipe qui aurait pu occuper ce rôle central est Sheffield United, qui est un club de première division anglaise. Seulement, avec le Brexit, les possibilités pour un joueur étranger de rejoindre l’Angleterre se sont considérablement réduites, surtout s’il provient d’un club de Nationale comme Châteauroux.

En somme, le véritable intérêt pour Abdullah Bin Mosaad est de multiplier les petits investissements et les bonnes affaires afin d’augmenter ses chances de faire des plus-values sur des joueurs formés par ses équipes.

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Propos recueillis par Léo Durin

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