Interdire ou pas : les gouvernements de l'Europe face aux groupes d'extrême-droite

Banderole du mouvement identitaire lors d'une manifestation de l'AfD à Geretsried.
Le gouvernement français a décidé cette semaine de dissoudre le groupe Génération Identitaire. De la surveillance à la complaisance, tour d'horizon des positions européennes face aux groupuscules d'extrême-droite.

Après le Bastion Social en 2019, le gouvernement a annoncé ce mercredi 3 mars  la dissolution du mouvement d’extrême droite Génération Identitaire. De l’autre côté du Rhin, les services de renseignements allemands ont quant à eux placé sous surveillance le parti nationaliste Alternative pour l'Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD), évoquant des atteintes à l’ordre démocratique. Deux attitudes différentes qui incitent à faire le point sur les réactions contrastées des gouvernements européens face aux mouvements d'extrême-droite.

De la milice paramilitaire aux micro-partis nationalistes 

Comparable à Génération Identitaire, le micro-parti Britain First cible l’immigration et “l’islamisation du Royaume-Uni”. Comme le mouvement français, il "vise à organiser des actions concrètes sur le terrain, d’intimidation voire parfois de violence, comme l’invasion de mosquées", explique Benjamin Biard, chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politiques de Bruxelles. Plutôt qu’une interdiction totale, la justice britannique a restreint ses activités en interdisant aux leaders l’accès aux mosquées et en les condamnant pour des propos ou des actions haineuses.

En Europe orientale et centrale, l’extrême-droite se retrouve plutôt dans des petits partis politiques, intégré au jeu politique puisqu'ils participent aux élections. Le candidat de Notre Slovaquie a par exemple atteint 10% des voix à l’élection présidentielle de 2019. Le parquet a tenté d’interdire ce parti xénophobe en 2017, mais la Cour Suprême n’a pas estimé les preuves suffisantes. Il a fallu attendre 2020 pour que son leader Marian Kotleba soit condamné pour ses références nazies, à quatre ans et quatre mois de prison

Roman Krakovsky, historien spécialiste des populismes en Europe centrale et orientale, note que ce type de parti est " relativement bien intégré au paysage politique de ces pays ", citant l'élection de Marian Kotleba à la présidence d'une région slovaque entre 2013 et 2017. 

Exemples de groupes d'extrême-droite européens. Infographie : Louise Gerber.

Dans le cas de la Hongrie, les rassemblements d’extrême droite vont même jusqu’à la milice paramilitaire, comme l’ancienne Garde Nationale du parti Jobbik. " La milice paradait dans les villages majoritairement peuplés de Roms, pour les intimider, allant parfois jusqu’à la violence ", décrit Benjamin Biard. Elle a été interdite en 2009… " ce qui n’empêche pas ces organisations de se développer à nouveau ensuite ", rappelle-t-il. Le Mouvement Notre patrie, branche qui a fait scission en 2018 pour s’opposer à la normalisation de Jobbik, a ainsi lancé sa propre milice en 2019.

En Europe centrale et orientale, des relations ambiguës avec les gouvernements

Dans ces pays, où plusieurs gouvernements flirtent avec la droite dure, " les relations sont plus complexes qu’en Europe occidentale. Les partis d’extrême droite jouent sur le même registre que ceux au pouvoir, avec un discours un peu plus radical. Ce discours n’est pas ouvertement légitimé par les gouvernements populistes, mais ces derniers ne s’en distancient pas non plus ", affirme Roman Krakovsky. Les petits partis nationalistes partagent ainsi une rhétorique anti-immigration, opposée à l’avortement ou aux droits LGBTI+, avec les chefs d’État en Pologne et en Hongrie notamment, rendant leurs rapports ambigus. 

Le chercheur cite l’exemple de manifestations d’extrême droite pour la fête nationale en 2018, interdites par la ville de Varsovie. L’État avait toutefois organisé lui-même ces rassemblements nationaux, permettant à l’extrême droite d’y participer et " lui donnant quand même un espace de parole ".  Selon lui, la lutte contre ces partis y est donc davantage portée par " les médias, la justice et la société civile ".

Roms ou musulmans, les minorités nationales prises pour cible

D’un pays à l’autre, les groupes d’extrême droite ne visent pas forcément les mêmes cibles. La plupart se rejoignent pour s’opposer à l’immigration extra-européenne. Mais contrairement à Génération Identitaire ou à Britain First, les mouvements d’Europe centrale et orientale ne s’attaquent pas à des lieux de culte musulmans, dans des pays où cette religion est beaucoup moins représentée. Ils visent d’avantage les populations roms. En Belgique, les mouvements nationalistes au nord se concentrent quant à eux sur la défense de l’identité, voire l’indépendance flamande. " On retrouve des liens entre ces organisations, mais ce n’est pas une des raisons de base de leur existence. Et les plus petits ont davantage de difficultés à rentrer en contact avec leurs cousins étrangers ", analyse Benjamin Biard. 

Certains revendiquent par ailleurs un rôle social : c’est le cas de petits mouvements « solidaristes », qui viennent en aide spécifiquement aux personnes défavorisées blanches, à l’Est, ou de CasaPound en Italie, parti néofasciste qui s’est développé à partir des centres sociaux.

Dissolution, surveillance, scissions,… 

Concernant leur régulation, " certains États sont plus discrets que d’autres sur la manière dont ils surveillent ces groupes : la Belgique par exemple évite d’ébruiter ses dossiers. Au contraire, l’Allemagne publie des communiqués assez régulièrement ", avance Benjamin Biard. Il fait ainsi référence au placement sous surveillance de la branche jeunesse de l’AfD, en 2019, ou à l’interdiction de trois organisations néo-nazis, comme Nordadler, l’année dernière

Selon le chercheur, une interdiction de l’AfD reste toutefois peu probable. " Pour un parti politique avec une large base électorale, une dissolution serait plus difficile à faire accepter que pour des groupuscules. Et cela pourrait légitimer leur discours anti-élite, leur donner du crédit ", développe-t-il. 

En effet, les dissolutions ne sont pas toujours frontales. Par exemple, en Belgique, le parti nationaliste Vlaams Blok a décidé de s’auto-dissoudre en 2004 : après des condamnations pour racisme et xénophobie, il risquait de perdre ses financements publics. Mais le groupe s’est immédiatement reformé sous le nom Vlaams Belang, ce qui lui permet de repartir à zéro sur le plan juridique.

Les différences de formes dans ces mouvements conduisent à des stratégies différentes pour les réguler. Selon Benjamin Biard, en Belgique, " il y a assez peu d’organisations structurées, dotées de personnalités juridiques et suffisamment importante pour faire objet d’une procédure d’interdiction ". Roman Krakovsky précise que ce type de petits partis, souvent radicalisés, fractionnés et instables, finissent régulièrement par " s’auto-détruire ". Ou par opérer un virage vers une ligne plus modérée, comme Jobbik en Hongrie. 

Maya Elboudrari

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