En attendant le score carbone, le Nutri-Score peine à prouver son efficacité

Depuis 2017, le Nutri-Score permet de classer les propriétés nutritionnelles des aliments entre A et E. Crédits photo : The RedBrun via Wikimedia Commons.

Alors que l’Assemblée nationale s’écharpe pour la mise en place d’un score carbone sur les produits de consommation, un dispositif d’aide à la décision existe déjà pour l'alimentaire : c’est le Nutri-Score. En vigueur depuis 2017, le label a-t-il vraiment permis de changer nos pratiques alimentaires ? 

93% des Français le connaissent et 50% des produits en grande surface l'apposent. Fin février, Anne-Juliette Serry (responsable du pôle alimentation pour Santé publique France) tressait des lauriers au Nutri-Score, cette étiquette qui classe en cinq niveaux les valeurs nutritionnelles des aliments : "[Pour] une mesure volontaire et non obligatoire, l’état des lieux en France est très positif".

Mais parmi la foule de labels, que pèse la petite cocarde « A-B-C-D-E » au moment de faire son panier ? Quatre ans après son lancement, c’est l’heure d’un premier état des lieux. Façon aussi d’évaluer si le score carbone, dans les cartons à l’Assemblée nationale, pourra peser sur la décision des consommateurs. 

Peu d'évolution sur les ventes

Une étude de l’IRI, une entreprise de conseil en data qui promet de "libérer la croissance sur les produits de grande consommation", publiée le 11 mars, apporte des éléments de réponse : "L’évolution des ventes est identique pour les catégories proposant principalement des aliments à limiter ou à privilégier." Pas d'impact à ce jour donc. Pour le professeur Serge Hercberg, créateur du Nutri-Score, ce retard à l'allumage s'explique notamment par un problème de stocks :

"Il faut bien avoir en tête qu’entre le moment où les entreprises adhèrent et le moment où le produit se retrouve dans le rayon, il y a un délai. Par exemple, sur des boîtes de conserve, l’écoulement du stock peut être très long. Même si, aujourd’hui, 520 entreprises, soit 50% du volume des ventes, adhèrent au Nutri-Score, on reste dans des phases où l’affichage n’est toujours pas très important. Donc il faut encore attendre avant de tirer des conclusions."

En attendant une bascule des pratiques de consommation, les industriels tirent leur épingle du jeu, puisque le chiffre d'affaire augmente significativement sur les produits notés A et B alors qu'il est en recul sur les catégories les moins bien notées. Sans doute parce que les produits bien notés sont parfois plus chers, et que "l'offre (...) progresse plus vite" pour ces catégories, note l'étude.

Malgré cette dynamique côté offre, le retard par rapport aux produits moins bien notés reste à combler. Sur les produits labellisés, près de la moitié obtient la note D ou E alors que seuls 31% sont étiquetés A ou B. Par ailleurs, cet étiquetage ne prend pas en compte la transformation des aliments, ou leur préparation, pas toujours équilibrée.

L'exception qui confirme la règle ?

Seul un pan de l'étude portant sur les plats cuisinés frais penche nettement en faveur du Nutri-Score. Sa seule identification rassure le consommateur : "Le logo était présent sur 42% des références ; les ventes de ces dernières augmentent deux fois plus vite que celles des produits sans logo". Quant aux plats notés A, leurs ventes augmentent encore deux fois plus vite que les autres produits à la cocarde. 

D’où cette conclusion - très - mesurée :  "Quand ils ont le choix, les acheteurs sont prêts à suivre le PNNS (programme national nutrition santé) et à être acteurs de leur santé, sans toutefois consentir aujourd’hui à bouleverser leur alimentation et à limiter les aliments les plus gourmands".

Un soutien politique inébranlable ?

Alors faute de résultats tout à fait probants, le Nutri-Score peut compter sur le soutien des politiques. Depuis 2018, six autres pays l'ont déployé au sein de l'Union européenne. Si certains membres comme l'Italie le refusent toujours, c'est un déblocage utile pour peser fasse aux marques récalcitrantes. "Il y a toujours beaucoup de grandes entreprises qui s’opposent au Nutri-Score comme Ferrero ou Coca Cola.", confie le professeur Hercberg.

Mieux, depuis fin janvier, les États participants se retrouvent autour d'une table pour faire part de leurs expériences et discuter des axes d'amélioration. "On évolue avec la science. Par exemple, quand on a proposé le Nutri-Score en 2017, on a exclu les boissons édulcorées (Coca Light, Pepsi Max…). Aujourd’hui les études suggèrent que ces boissons, avec leurs substituts au sucre, ont des effets délétères. Le Nutri-Score va évoluer pour en tenir compte", développe le médecin.

Mais sous sa mouture actuelle ou réformé, le Nutri-Score ne doit plus tarder à prouver son efficacité. Plus que sa crédibilité, c'est celle du score carbone qui en jeu, si ce dernier ne veut être relégué au rang de simple gadget de la lutte contre le dérèglement climatique.

Pierre-Henri Girard-Claudon

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