Un an après, retour sur le cluster électoral de Coudekerque-Branche

Hôtel de ville de Coudekerque-Branche

Il y a un an, quelques jours avant le premier confinement, le premier tour des élections municipales se tenait entre angoisse et insouciance. À Coudekerque-Branche, dans les Hauts-de-France, 17 des 35 membres de l'équipe municipale étaient contaminés par le Covid-19. Un cluster qui continue de bousculer la vie démocratique locale.

"Je dirais que si la vie démocratique n'a pas de prix, elle a eu un coût sanitaire." David Bailleul, le maire divers gauche de Coudekerque-Branche, est un adepte des formules frappantes. Le 17 mars 2020, comme un peu partout en France, les rues se sont vidées tandis que les chaînes de télévision empilent les indicateurs alertant sur l'ampleur de l'épidémie de Covid-19. La veille, à minuit, le "Soubise", restaurant phare du Dunkerquois, a fermé ses portes jusqu'à nouvel ordre. Le premier tour des élections municipales a pourtant été maintenu par le président de la République Emmanuel Macron afin "d'assurer la continuité de notre vie démocratique et de nos institutions." Dans les jours qui suivront, dix-sept des trente-cinq conseillers municipaux chargés d'organiser le scrutin seront touchés par le virus, ce qui fera de Coudekerque-Branche un des principaux clusters électoraux en France.

Un soir de victoire sans communion ni embrassades

Ce dimanche-là, David Bailleul tient le bureau de vote de l'hôtel de ville. Les membres de son équipe municipale sont dispersés dans les seize autres bureaux afin de coordonner l'organisation. "La mission première d'une mairie est d'organiser les élections, nous l'avons fait sans rechigner", élude d'emblée le maire qui n'en reste pas moins circonspect sur la communication au sommet de l'État : "Nous avons affronté l'échéance la fleur au fusil. L'Élysée nous assurait encore que les masques servaient à rien..." Des bidons de gel hydroalcoolique sont disposés à l'entrée, les rideaux des isoloirs sont repliés et les assesseurs veillent au respect des distances entre les électeurs qui patientent, bulletins de vote à la main, derrière l'urne.

À quelques centaines de mètres de là, au bureau n°8, Charles Hudelo, candidat sur la liste de David Bailleul, observe les électeurs défiler, dans la gaieté que stimule l'arrivée des beaux jours du printemps : "Malgré l'appréhension légitime d'un virus dont on ne connaissait pas grand chose, la journée s'est écoulée paisiblement."

Le maire est reconduit pour un troisième mandat dans une ambiance très particulière : "J'ai égrené les résultats devant un parterre en tout et pour tout de dix conseillers municipaux. Le public ne pouvait pas assister à la proclamation du résultat. Un soir de victoire sans embrassades ni communion est très étrange", raconte celui qui est à la tête de Coudekerque-Branche depuis 2008.

Un assesseur sur deux contaminé

Malgré les "nombreuses précautions prises" sur lesquelles la majorité ne manque pas d'insister aujourd'hui, Charles Hudelo se sent fébrile. Plusieurs jours se sont écoulés depuis le premier tour et l'assesseur est épuisé. "Je me sentais vraiment très mal. J'ai la petite cinquantaine, je fais du sport, et pourtant je n'ai jamais été dans cet été là. Je ne voyais pas le bout du tunnel." Le cardiologue est loin d'être le seul touché. Plusieurs de ses aînés sont pris en charge, durant plusieurs semaines, en service de réanimation. Les plus jeunes de l'équipe municipale sont alités, comme lui. En tout, 17 des 35 assesseurs sont testés positifs au Covid-19, quelques jours après le vote. Si personne ne perdra la vie, nombreux sont les élus à conserver des séquelles.

Aujourd'hui, la mairie est en mesure de retracer l'origine de l'entrée du virus. Un salarié de la maison de quartier revenait d'une fête à Mulhouse (Haut-Rhin), un des premiers foyers épidémiques en France, et a été diagnostiqué positif quelques jours avant le vote.

Une abstention record

Si Pierre-Antoine, habitant du vieux Coudekerque, s'est déplacé pour le "geste démocratique" et le "devoir de citoyen", seulement 35 % de ses compatriotes l'ont imité, deux fois moins que lors des municipales précédentes. La faute à l'absence de suspense – David Bailleul était le seul candidat à sa propre succession – mais aussi à ce contexte sanitaire inquiétant. "Ça me faisait peur, on entendait un peu tout et son contraire à la télévision, je craignais qu'on nous mente ou sous-estime la portée du virus. Je crois que finalement le déroulé de la journée m'a donné raison", résume Candice.

Au lendemain de sa victoire, le maire doit composer avec les contraintes de la pandémie. Son équipe municipale est à l'isolement tandis que l'hôtel de ville doit s'activer pour gérer les urgences. La gestion des courses des personnes âgées, la prise en charge des enfants de soignants dans les écoles publiques ou la distribution de masques sont autant de dossiers qu'il faut désormais traiter à distance et uniquement avec les élus bien-portants. "La vie municipale a été en quelque sorte mise entre parenthèses", résume Charles Hudelo, alors intronisé adjoint au maire chargé de la santé et du handicap. "Sans vouloir faire offense à mes conseillers municipaux, Skype ou Zoom n'était pas le premier réflexe de notre administration. Il a fallu s'adapter et prendre le temps de s'adapter aux niveaux outils", ajoute David Bailleul. Le temps de la prise de décision s'allonge et impose au maire d'agir moins en concertation : "Ce fut un véritable danger dans lequel il ne fallait pas tomber. Étant coupé de mes élus, je devais redoubler d'attention pour ne pas les éloigner des décisions de la mairie."

Le cabinet de l'édile rédige des e-mails collectifs afin d'informer le reste de l'équipe municipale de la politique suivie. "On était frustré à ce moment-là, on ne pouvait pas agir concrètement", abonde son adjoint à la santé. Mais ces élections municipales tenues dans des conditions sanitaires exceptionnelles ont accouché d'un autre enjeu qui pèse sur la vie démocratique de la commune. Le second tour étant repoussé au mois de juin, les résultats du premier tour ne peuvent être entérinés. Le nouveau conseil municipal, renouvelé d'un tiers de ses membres, ne pourra être installé que deux mois après le scrutin. Pendant ce temps, Coudekerque-Branche, comme près de 30.000 autres communes en France, évolue dans un flou où ceux qui voulaient passer le relais ne possèdent plus la légitimité ni l'envie de poursuivre leur action et les nouveaux élus doivent patienter avant d'entrer dans l'arène.

"On ne peut pas développer notre programme"

Un an après ce premier tour sinistre, la mairie de Coudekerque-Branche organise toujours ses conseils municipaux à distance. Les permanences qui visent à accueillir les citoyens mécontents ou inquisiteurs ont été remplacées par des Facebook Live, captations en direct hébergées par le réseau social américain durant lesquelles les adjoints se succèdent derrière l'écran pour répondre aux interrogations relatives à leurs portefeuilles. La crise sanitaire demeure la préoccupation principale de la mairie. La distribution de masques ou l'accueil d'un centre de dépistage sont des mesures qui "se sont imposées", reconnaît David Bailleul. Charles Hudelo va plus loin : "Il y a une frustration, on ne peut pas développer le programme sur lequel nous sommes élus." D'autant plus que ces opérations ont un coût. "Dans le budget de la mairie, forcément, il y a plus de sortie et moins d'entrées", schématise sobrement l'adjoint au maire.

Comme dans le reste de la France, nombre de dossiers sont retardés ou suspendus, y compris dans le domaine sanitaire. Les chantiers de construction d'une clinique d'ophtalmologie et de deux maisons médicales ont été repoussés après la mise à l'arrêt du secteur du BTP lors du premier confinement.

Hugo Lallier

🧑‍🍳 On vous recommande