Covid-19 : pourquoi n'a-t-on pas créé plus de lits en réanimation depuis un an ?

L'augmentation du nombre de lits en réanimation ne serait pas la solution miracle pour éviter un reconfinement en Île-de-France et dans les Hauts-de-France. Photo : Martha Dominguez de Gouveia.

A partir de ce week-end, le gouvernement met en place un confinement de troisième génération, alors que les services de réanimation de leurs hôpitaux saturent. La faute à un manque d'anticipation dans les hôpitaux ?

"Le nombre de lits [en réanimation, ndlr] n'a pas cessé de baisser et n'a pas augmenté depuis un an", selon le député du Nord et porte-parole du Rassemblement national (RN) Sébastien Chenu, au micro de RMC ce jeudi 16 mars. "Le confinement, c'est quand on a raté tout le reste", martèle ensuite l'élu nordique dont la région, les Hauts-de-France, avec l'Île-de-France, sont les plus touchés par l'épidémie à l'heure actuelle, et vont subir de nouvelles mesures de restrictions ce week-end. Les taux d'occupation des lits en réanimation dépassent en effet 100 % dans les deux régions, selon Santé publique France. Mais est-ce seulement possible d'augmenter encore les capacités des services de réanimation ?

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Déprogrammer pour augmenter les capacités

Pour faire face à cette troisième vague de l'épidémie, l'Agence régionale de Santé (ARS) des Hauts-de-France a demandé le 11 mars aux centres hospitaliers de la région d'augmenter les capacités d'accueil en réanimation : de 800 à 850 lits "dans les prochains jours". Il s'agit de lits en réanimation et de lits destinés à des patients en soins intensifs Covid-19 "un peu moins équipés", précise l'ARS. La capacité initiale de la région Hauts-de-France est de 474 lits de réanimation. L'Île-de-France, qui dispose de son côté d'une capacité de 1.125 lits en réanimation, prévoit de l'augmenter "en déprogrammant des opérations". Et en effet : de nouvelles capacités ne signifient pas que de nouveaux lits sont créés.

"L'idée, c'est d'appliquer une sorte d'effet accordéon sur les services de réanimation", explique Dr. Pierre Lanot, médecin anesthésiste à l'hôpital privé d'Antony (Essonne) et secrétaire général du Syndicat national des anesthésistes réanimateurs de France (SNARF). En plus des services de réanimation, les établissements peuvent être équipés de lits en soins intensifs et en surveillance continue, remplis à 80-85% hors période de crise. "Lors de la première vague, on a augmenté le matériel dans les unités de surveillance continue ou les salles de réveil pour en faire des lits de réanimation, détaille le médecin. Il s'agit de lits en réanimation éphémères". À Antony, 50 lits en salle de réveil ont ainsi été convertis en 12 lits de réanimation.

Pénurie de main d’œuvre

Mais si le problème matériel - l'achat de ventilateurs - est résolu, deux facteurs limitent la possibilité de jouer sur les capacités existantes. D'abord, le personnel soignant. "Un lit de réanimation n'a de valeur que parce qu'il y a du personnel très hautement qualifié qui s'occupe des malades qui sont dans ces lits. Or chacun sait ici que, pour former un anesthésiste réanimateur voire une infirmière spécialisée, il faut de nombreuses années", s'est ainsi justifié mardi le Premier ministre, dans une interview sur BFMTV.

"On ne manque pas de médecins", rétorque Pierre Lanot. Mais plutôt d'infirmiers et d'aides-soignants. Une pénurie de main d’œuvre liée à un absentéisme provoqué par le virus - comme l'explique la Cour des comptes dans un rapport publié ce jeudi 18 mars. Mais aussi à un manque structurel de personnel déjà pesant avant la crise, que l'année 2020 est loin d'avoir comblé. Les 6.102 départs (retraite, démission ou fin de contrat) n'ont été compensés que par 5.531 recrutements, selon une enquête de la Fédération hospitalière de France. "Les DRH notent la fatigue des professionnels et une hausse des intentions de départs [...] qui illustrent un sentiment de lassitude", précise l'enquête.

"Des retards de prise en charge inacceptables"

Autre facteur limitant : la prise en charge des patients hors Covid-19, aussi victimes des déprogrammations massives de la première vague, nécessaires pour vider les lits en soins intensifs. C'est ainsi que la capacité de la région Île-de-France durant cette période, est passée de 1.125 à 2.700, au pic de l'épidémie début avril. "Tous les centres hospitaliers contrôlés dans le cadre de cette enquête (les CHU Bordeaux, Poitiers et Pau, NDLR) ont massivement déprogrammé", constate aussi la Cour des comptes dans le même rapport.

"Il y a eu beaucoup de casse", témoigne le Dr. Pierre Lanot. "À présent, nous voulons pouvoir maintenir une activité chirurgicale pour ne pas que des gens se retrouvent avec des retards de prises en charge inacceptables". Le 8 mars, l'Agence régionale de Santé d'Île-de-France a ainsi ordonné la déprogrammation de 40% des activités médicales et chirurgicales pour ouvrir de nouveau lits en réanimation.

Remontées d'informations

Quoi qu'il en soit, la disponibilité des données reste un enjeu majeur pour adapter les services hospitaliers aux vagues épidémiques tout en évitant de déprogramme des opérations. "Les nombreuses incertitudes et imprécisions qui entourent le système de collecte et les remontées d'informations servant de fondement aux décisions stratégiques nationales [...] ouvrent un chantier prioritaire", conclut ainsi la Cour des comptes. S'agissant des données publiques, "il faudra attendre la fin de l’année 2021 pour avoir le recensement des lits en réanimation pour 2020", nous confirme la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des Solidarités et de la santé. Le taux d'occupation des lits de réanimation, mis à jour quotidiennement, est d'ailleurs calculé avec le nombre total des lits disponibles avant-crise.

Justine Daniel

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