Festivals : "On espère que 2022 aura lieu, sinon ça deviendra vraiment inquiétant"

Cette année, ce type de rassemblement devrait être organisé assis pour respecter les nouvelles restrictions sanitaires. Crédits : Nico M. Au foin de la rue.

Les annulations de festivals se succèdent au rythme des restrictions gouvernementales. La jauge de 5.000 spectateurs, mais surtout l’obligation d’organiser un événement "assis", ont entraîné la suppression de nombreux rendez-vous locaux. Une deuxième année blanche pour les organisateurs, qui s’adaptent tant bien que mal.

"Le Foreztival est libre, ou le Foreztival n’est pas.” Laure Pardon, directrice de l’association FZL, organisatrice du festival de la ville de Trelins (Loire) est catégorique. Avec les restrictions sanitaires annoncées par le gouvernement en février dernier, impossible d’organiser l’événement comme il se doit. Et pour cause, le 18 février, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, a clarifié les conditions nécessaires à la tenue des festivals de l’été 2021. Jauge de 5.000 spectateurs, buvettes et restaurations sur la sellette, mais surtout un accueil du public "en configuration assise" ont eu raison des derniers espoirs d’adaptation de l’association. 

Contrairement à la plupart des festivals, le FZL a pris sa décision en amont des annonces de l'exécutif. Dans un communiqué paru le 14 décembre, l’association assume : “Nous avons toujours fait en sorte que le Foreztival soit un moment hors du temps, [...] un moment de fête qui nous paraît totalement incompatible avec les restrictions actuelles.” Laure Pardon confie que les cinq salariés et cinquante bénévoles “n’y croyaient plus du tout”. Dès septembre, ils ont décidé de ne pas organiser l’édition de 2021 : “Un festival, ça se prépare en un an. On ne pouvait pas attendre”.

Même son de cloche du côté du Bocksons festival, organisé par la commune de Valentigney (Doubs). Depuis 2017, entre 7.000 et 8.000 festivaliers ont participé, chaque année, à l’événement de musique rock. Mais cette année, la présence des brasseurs locaux, véritable identité du festival, aurait été compromise par les restrictions. “Le vendredi soir est en général explosif, avec des groupes de punks assez pêchus. On ne pouvait pas s’adapter”, commente Aymeric Roussas, chargé de communication.

Les asso dépendantes des subventions

Si la question de l’identité du festival a fortement motivé les annulations, les organisateurs reviennent aussi sur les coûts que les adaptations auraient pu engendrer. Lisa Bélangeon, coordinatrice générale de l’association Au Foin de la rue, organisatrice du festival éponyme, l’affirme : l’association perdra moins d’argent en annulant le rendez-vous annuel. Lors des éditions précédentes, l’événement mayennais a accueilli 8.000 à 9.000 personnes par soir, au milieu d’un champ, lieu mythique de la manifestation festive. S’adapter, c’est donc prendre le risque d’engendrer “des surcoûts colossaux en termes d’installations”. La location de gradins, essentielle à l’organisation d’un événement assis, était inenvisageable pour l’association. “On s’auto-finance à hauteur de 80%, complète Lisa Bélangeon. On dépend essentiellement de la billetterie, de la vente des repas et du bar. Sans ces ressources, et avec les surcoûts d’installation, c’était vraiment trop précaire pour nous.”

Après l’annulation de l’événement en 2020, et une saison 2019 en demi-teinte, l’association préfère donc ne pas prendre de risques supplémentaires. Si elle a pu bénéficier d’aides et de subventions des collectivités, du Département de la Mayenne et de la Région Pays de la Loire en 2020, rien n’est garanti pour 2021. Aujourd’hui, Lisa Bélangeon est dans le flou. “L’année dernière, les subventions avaient été votées par les collectivités avant l’annulation, contrairement à cette année. Ils ne vont pas subventionner un projet qui n’aura pas lieu.”

L’association FZL, de son côté, estime ses pertes à environ 100.000 euros pour 2021. L’année dernière, elle a “un peu limité la casse”, en perdant 50.000 euros. Un montant “raisonnable”, au regard du budget total du festival, qui s’élève à 1,5 million. Autofinancée à hauteur de 97%, l’association peut également compter sur les aides de l’agglomération de Forez, du Département et de la Région. Pour autant, les montants ne lui permettent pas d’amortir la totalité des pertes. Laure Pardon relativise : le fonds de trésorerie de l’association est suffisant. Mais elle ajoute : “C’est dommage, cette trésorerie n’était pas faite pour ça. On la gardait pour amortir une possible mauvaise édition. Quand on organise un festival, on peut plus facilement perdre de l’argent qu’en gagner !”

Lors de son annonce, en février, la ministre de la Culture a promis d’allouer un fonds de 30 millions d’euros pour accompagner les festivals qui s’adapteront aux mesures gouvernementales. Une subvention portée et mise en œuvre par le Centre national de la musique (CNM) et par les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Les festivals contraints d’annuler leurs événements ne seront donc pas concernés. Pour autant, dans son communiqué, le ministère de la Culture a précisé que l’État poursuivra son accompagnement.

"Pétanque disco" et soirées alternatives

Alors, pour compenser les pertes et organiser, malgré tout, des manifestations culturelles, le FZL s’est lancé un défi : planifier 87 événements dans 87 communes, pendant 87 jours. “C’est plus fatigant à organiser qu’un festival !”, sourit Laure Pardon. Au programme : théâtre, cirque, art de rue, cinéma en plein-air, et même une “pétanque disco” ou “l’électro bingo”. Pourtant, avec aussi peu de visibilité, difficile de mettre en place de tels événements. “Si le projet devait commencer demain, on serait mort”, avoue Laure Pardon, qui espère que, d’ici le mois de mai, - date du début des festivités - les restrictions sanitaires seront suffisamment allégées pour permettre la tenue de ces rendez-vous “insolites”.  

Pas question de baisser les bras non plus du côté d’Au foin de la rue, qui a aussi prévu d’organiser deux ou trois soirées “familiales et festives” d’ici à la fin du mois d’août. Le Bocksons festival, quant à lui, n’a pas prévu d’alternative. Et pour cause : la collectivité organisatrice prévoit de passer la main à une association en cours de création. Martine Michaud, adjointe à la culture de la Ville de Valentigney, ajoute : “On ne voit pas comment on aurait pu organiser un événement parallèle. Ça aurait été très compliqué. On préfère se concentrer sur la transition avec l’association.”

Les trois festivals gardent espoir. Ils attendent avec impatience les éditions 2022 de leurs événements. Les douze artistes qui devaient se produire au Bocksons en 2020 et en 2021 ont déjà été reconduits. Pour autant, l’incertitude pèse sur les futures décisions. “2022, c’est LA question, ironise Lisa Bélangeon. On commence à en rigoler entre nous. Après deux ans d’arrêt, ça va être très difficile de repartir. On espère que 2022 aura lieu, sinon ça deviendra vraiment inquiétant." De son côté, Laure Pardon attend d’avoir plus d’informations pour se prononcer. Elle conclut, un peu résignée : “J’avoue, c’est une question qu’on n’a pas envie de se poser.”

Brianne Cousin

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