Covid-19 : les familles de Français handicapés placés en Belgique privés de visites
En raison des restrictions de déplacement prises par le royaume, certaines familles n’ont pas vu leur enfant depuis des mois. Pour les associations, c’est une preuve de plus que l’exil des Français avec autisme en Belgique ne peut plus durer.
La dernière fois que Denise Chaussende a vu son fils, c’était début décembre. Elle a dû se munir d’une attestation du directeur de l’établissement, passer un test PCR, enfiler un masque, mettre une blouse, et manger avec son fils, Vincent, dans une pièce à part. “On a pris toutes les précautions imaginables” face au coronavirus, soupire l’ancienne infirmière de 64 ans. Et fait plus de quatre heures de route pour voir son fils - du Loiret, où elle habite, jusqu’à Mons, en Belgique.
8.233 Français en situation de handicap,1.413 enfants et 6.820 adultes, sont accueillis dans 227 établissements spécialisés en Belgique, d’après un communiqué du secrétariat d’Etat aux personnes handicapées, faute de places en France. Ceux-ci présentent notamment des déficiences intellectuelles, un handicap psychique, des troubles du spectre autistique ou un polyhandicap. En tout, ce sont 500 à 550 adultes qui partiraient chaque année en Wallonie, estime Autisme France. Déjà difficiles à cause de la distance, les visites des familles se sont encore espacées à cause de la crise sanitaire, et des mesures de restriction prises par la Belgique.
Un cadre général, mais des règles variables
Les personnes handicapées prises en charge dans les établissements belges ne peuvent plus faire la navette avec la France toutes les six semaines, comme c’était le cas auparavant. Depuis la mi-janvier, le royaume interdit toute entrée et toute sortie de son territoire, sauf motif essentiel, précise le site belge des affaires étrangères.
Si les visites familiales n’en font pas partie, sauf en cas de détresse “physique ou psychique” d’un parent handicapé, les séjours de moins de 48 heures dans le pays restent toutefois possibles, si l’arrivée s’est faite en voiture. Mais dans les faits, les règles varient énormément d’un établissement à l’autre : “Quand les établissements acceptent que les parents viennent les voir, souvent le bourgmestre [le maire] refuse, par peur des contaminations. Chaque établissement a sa propre politique”, résume Denise Chaussende.
Philippe Jospin, lui n’a pas vu son petit-fils, qui est autiste, depuis le mois de juillet. Le foyer d’accueil de Martin, dans les Ardennes belges, impose des règles particulièrement strictes. “Si des parents veulent revoir leur enfant, il faut qu’ils aillent en Belgique puis qu’ils passent une quarantaine de sept jours, détaille-t-il. Ensuite, il faut qu’ils restent sur place, louent un gite rural et se fassent tester au retour. C’est extrêmement compliqué.”
Communiquer par visio, un exercice plus ou moins facile selon les familles
Quand les visites sont possibles, ce sont parfois les familles qui refusent. Par peur de rendre les choses plus difficiles pour l’équipe éducative ; par crainte de contaminer leur enfant, aussi. “Franchement, tout ce que je veux c’est qu'il n'attrape pas le Covid”, explique Sophie*, 58 ans, dont le fils de 21 ans, Timothée*, est autiste. "De toute façon", soupire-t-elle, "dans son établissement, si on pouvait se voir, on serait dans une salle, on ne se verrait qu’une heure…”
Avec le Covid, c’est toute la vie des résidents qui a été chamboulée. Si l’AVIQ - l’ARS belge - précise dans un communiqué que les “moments de convivialité” doivent être “préservés” au sein de la “bulle du service”, toutes les activités extérieures ont été arrêtées. “Les piscines sont fermées, les activités sportives ne sont plus possibles… L’univers de Timothée s’est restreint, s’est limité”, déplore Sophie.
Pour garder contact, Adèle* voit son fils Quentin, également autiste, une fois par semaine par visio, mais “il ne s’exprime pas, c’est dur”, confie-t-elle. Il faut combler les silences pendant les appels, passer par l’équipe éducative pour prendre des nouvelles. Tous les adultes avec autisme ne s’adaptent pas aussi bien à ces appels à distance. “Vincent ne comprenait pas qu’il puisse nous voir et qu’en même temps ce soit virtuel, retrace Denise Chaussende, il a piqué une colère.” Au printemps dernier, le confinement pesait tellement au jeune homme qu’il a fugué pendant plusieurs heures, “on l’a retrouvé à quarante kilomètres de là”, raconte sa mère.
Les adultes handicapés, grands oubliés des structures d’accueil en France
En France, les proches des personnes handicapées en établissement peuvent leur rendre visite depuis le premier confinement, mais les places manquent pour les autres. Les histoires des familles interviewées se ressemblent presque toutes. Une fois leur enfant arrivé à l’âge adulte, plus aucune structure en France ne peut l’accueillir.
“Tout le système est saturé en France car cela fait des années qu’on ne crée plus rien”, résume Christine Meignien, présidente de Sésame autisme. Les établissements français refusent également d’accueillir “des personnes avec des troubles du comportement important”, d’après un rapport des ARS Grand-Est et Hauts-de-France. L’amendement Creton, voté en 1989, permet certes aux adultes de plus de 20 ans de rester en institut médico-éducatif, mais cela n’est qu’une solution provisoire.
Dès lors, la Belgique apparaît comme la seule solution. La Sécurité sociale et les départements versent chaque année 470 millions d’euros pour financer l’accueil des Français dans le royaume, mais même obtenir une telle autorisation n’est pas chose aisée. “Le département du Loiret ne voulait plus prendre en charge des adultes en Belgique, se souvient Denise Chaussinde. Il a fallu que je sollicite tous les élus, du maire de notre petit village jusqu'au Président, pour que le département accepte.” Philippe Jospin, qui vit en région parisienne, a lui fait jouer ses contacts : “Je ne sais pas comment les parents sans relations peuvent faire.”
La France condamnée pour le manque de places sur son territoire
Adèle, 48 ans, avait cru à la Belgique, réputée meilleure dans les soins apportés aux personnes handicapées. “La Belgique, ce sont des marchands de rêve”, lâche-t-elle. Elle raconte, que lorsque les voyages vers la France étaient encore possible, “l’équipe éducative disait qu’ils étaient obligés de l’attacher pour lui faire passer un test PCR, c’est de la maltraitance. Je ne peux pas lui imposer ça.” Elle accuse également le foyer d’accueil d’avoir doublé le traitement de son fils, sujet à des troubles du comportement, “car il n’y a pas de prise en charge éducative suffisante”.
Une situation loin d’être limitée à un seul établissement, relève M’Hammed Sajidi, président de Vaincre l’autisme. “On constate que même les structures médico-sociales ou éducatives prescrivent des psychotropes ou des narcoleptiques, car elles sont incapables de gérer les troubles du comportement, accuse-t-il. Les associations le savent, les parlementaires le savent.” À cause du manque de places en France,“une délocalisation de la solidarité nationale” lance-t-il, son association a fait condamner l’Etat français par deux fois, devant le tribunal administratif et devant le Conseil de l'Europe.
“Il y a deux types d’établissements en Belgique, appuie Christine Meignien, ceux qui ont un agrément, et ceux créés à titre lucratif, où plus de doutes subsistent.” La présidente de Sésame autisme tient toutefois à nuancer ce tableau, en rappelant que certaines familles ont volontairement choisi la Belgique : “Les établissements belges sont les premiers à mettre en place des méthodes comportementales, éducatives, bien avant la France”, où l’approche psychanalytique de l’autisme, rendant les familles responsables du handicap de leur enfant, a longtemps prévalu.
Un retour difficile pour les adultes déjà présents en Belgique
Pour pallier ses défaillances béantes, l’État a lancé un moratoire en février dernier sur l’accueil des Français en Belgique. En 2020, 90 millions d’euros ont été octroyés aux trois régions les plus concernées par les départs (Ile-de-France, Hauts-de-France et Grand-Est) pour leur permettre de créer des places. Un quatrième plan autisme, doté de 344 millions d’euros, a par ailleurs été lancé en avril 2018 pour la recherche, le dépistage et la prise en charge de l’autisme.
Quand bien même des places seraient disponibles en France, il est déjà trop tard pour certaines familles. “On aimerait bien rapatrier notre fils, mais je n’ai plus 20 ans, mon mari est malvoyant… Sa sœur s’occupera toujours de son frère, mais il est hors de question qu’elle le prenne avec elle”, expose Denise Chaussende. Il est aussi difficile d’habituer des personnes avec autisme, qui ont besoin d’une certaine routine, à de nouveaux établissements. “Est-ce qu’on a le choix de repartir, de faire le chemin inverse ?, s’interroge Adèle, qui cherche à ramener son fils en France. Certains ont des pathologies plus marquées, qui ne pourront pas s’acclimater.”
Pour l’heure, les familles comptent surtout sur la campagne de vaccination, qui a commencé dans plusieurs établissements, pour revoir leur enfant. Et se plient d’ici là aux règles belges. “Autant l’accepter et attendre des jours meilleurs”, conclut Sophie.
Louis de Briant
*Le prénom a été changé