Cancers à Fukushima : l'ONU estime qu'ils ne sont pas liés à la catastrophe
Un rapport d’un comité scientifique de l’ONU, publié mardi, conclut que l’accident nucléaire de Fukushima n’a causé "aucun effet néfaste sur la santé”. Le nombre de cancers plus élevé qu’attendu, observé chez les enfants, serait lié à un surdiagnostic. Les anti-nucléaire appellent à la prudence.
C’était un rapport très attendu, publié ce mardi 9 mars, deux jours avant l’anniversaire de la catastrophe de Fukushima. Le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (Unscear) a rendu ses conclusions sur les conséquences sanitaires de l’accident nucléaire. Dans un communiqué, le Comité estime "peu probable" que les effets sur la santé des rayonnements soient "discernables”, en raison des "faibles doses" auxquelles le public a été exposé. "La question des faibles doses est l’éternel serpent de mer sur lequel il y a une bataille entre anti-nucléaires et scientifiques", souligne Geneviève Baumont, responsable de la vulgarisation à l’IRSN.
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Pourtant, selon un rapport publié par l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro), les quatre campagnes de suivi sanitaire de la population de Fukushima, ont suspecté (ou confirmé) 252 cancers de la thyroïde sur 350.000 personnes environ. Son laboratoire, agréé par l’Autorité de sûreté nucléaire, s'est basé sur les mêmes chiffres que l'Unscear en y ajoutant des données encore non officialisées.
https://twitter.com/UN_Vienna/status/1369261937633107968
Plus on dépiste, plus on trouve
La détection de ces cancers à Fukushima a découlé de plusieurs campagnes de dépistage réalisées sur un large échantillon de population. Un procédé qui n'est pas utilisé en France, où les cancers chez les mineurs sont consignés dans un registre après consultation. La campagne a donc permis de trouver “un nombre de cas nettement supérieur à ce qu’aurait donné un registre”, explique Dominique Laurier, chef du service de recherche sur les effets biologiques et sanitaires des rayonnements ionisants à l’Institut de radioprotection et de sécurité sanitaire (IRSN).
Parmi les cas détectés lors du dépistage, beaucoup de nodules, c'est-à-dire de petites grosseurs qui signalent un cancer. “En France, si on pratiquait cette méthode, on trouverait des gens avec des nodules qui, à aucun moment, n’entraîneront de problèmes cliniques”, indique le chercheur. Cela n’empêche pas les cas détectés à Fukushima d’être opérés - 80% des cas suspects de cancers de la thyrroïde d’après l’Acro.
Pour l’Acro, l'explication du Comité est trop simple. En reprenant les estimations de l’Unscear, l'association souligne que "16 à 50 cas de cancers de la thyroïde" attribuables aux rayonnements devraient apparaître plus tard chez les jeunes filles de moins de cinq ans dans la région. "Le Comité n’exclut donc pas des cancers de la thyroïde radio-induits. Il dit juste que leur nombre sera trop faible pour être confirmé statistiquement", conclut l’Acro dans un communiqué.
Le cancer de la thyroïde, le cancer le plus scruté
Parmi les autres griefs de l’Acro, l’association regrette que l’Unscear ne consacre que deux pages aux autres formes de cancers chez les enfants. Charlotte Mijeon, porte-parole de Sortir du nucléaire, dénonce elle aussi l'importance donnée aux cancers de la thyroïde : "C’est un choix lié au fait que c’est la pathologie la plus facile à tracer, certes, mais ce ne sont pas les seules conséquences d’un accident nucléaire, il y a d’autres pathologies, notamment cardio-vasculaires."
Cette focalisation sur le cancer de la thyroïde provient de Tchernobyl. "En 1988-89, on n’a pas cru les scientifiques qui alertaient sur le sujet, car ce n’était pas quelque chose de connu avant", retrace Dominique Laurier. Quant aux autres cancers pouvant être liés aux rayonnements, comme le cancer du côlon ou du poumon, ils seront suivis grâce aux registres japonais, car "ils ne surviennent pas forcément durant l’enfance".
Contre le Césium-137 dans les forêts, le déboisement comme seule solution
Les taux de Césium-137, un élément radioactif produit dans les réactions de fission de l'uranium, sont également sujet à controverse. Pour l'Unscear, toute contamination de la faune et de la flore par cet élément radioactif, est jugée "improbable".
"On a décontaminé des surfaces importantes, des millions de sacs de déchets ont été récupérés", reconnaît Roland Desbordes, physicien et président de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). Cependant, "ce qui n’a pas été nettoyé, ce sont toutes les zones forestières. On n’y cultive pas, certes, sauf que la radioactivité n’est pas figée, on est dans un pays qui compte énormément de phénomènes atmosphériques, ce qui fait que cette radioactivité est déplacée", souligne-t-il.
Pour Emmanuelle Galichet, docteure en physique nucléaire et maître de conférence au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), le problème se réglera progressivement par la dilution du Césium grâce aux pluies. Une autre solution (plus radicale) de décontamination serait d'abattre les arbres. Une fausse bonne idée pour Emmanuelle Galichet : "Les forêts sont d’importantes sources de CO2. Vous risquez également de favoriser l’érosion, vous cassez le terrain. Cela vaut-il la peine de couper les forêts à l’heure actuelle ?”
L'indépendance de l'Unscear questionnée
Au-delà de ce dernier rapport, c’est l’autonomie même de l’Unscear que questionnent les anti-nucléaires. "Je n’ai aucune confiance dans cette structure qui dépend de l’ONU, qui n’a pas montré son indépendance vis-à-vis de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique)", critique Roland Desbordes. "Ces institutions vont toujours dans le même sens, elles développent une vision commune, il n’y a pas besoin de pression extérieure", abonde Christine Fassert, socio-anthropologue et spécialiste des risques à Paris 1.
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Le problème viendrait de la culture du secret qui a longtemps prévalu dans le nucléaire : "Après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, les Américains regardaient les effets sur les Japonais, mais ce n’était pas publié, et pendant longtemps c’était considéré comme une forme d’information à ne pas diffuser", ajoute Christine Fassert. Pas de quoi remettre en cause le sérieux de l’AIEA, ni de l’Unscear donc, rétorque néanmoins Emmanuelle Galichet : "L’AIEA n’est pas une agence de lobbying mais une agence de scientifiques avec tous les profils."
En avril 2020, la province de Fukushima a lancé sa cinquième campagne d’examen de la thyroïde, dont les résultats commencent tout juste à être publiés. Ils permettront peut-être de trancher le débat - ou de le relancer une nouvelle fois.
Louis de Briant