Pourquoi le pétrole repart à la hausse malgré la crise
Le prix du pétrole brut a retrouvé son niveau d’avant crise, un an après l’effondrement de la demande mondiale. Avec la relative atonie de la demande à court terme et les incertitudes sur l’offre à moyen terme, les spécialistes estiment qu'il n’est pas près de rechuter.
Avec sa belle robe noire et ses teintes violacées, le baril de pétrole a retrouvé sa splendeur d’avant crise. Depuis quelques semaines, il s’échange autour de 60 dollars. Pourtant, il y a un an, le baril confiné amorçait une folle dépression, la faute au Covid et à la mise à l’arrêt des entreprises. Le baril de pétrole brut avait touché le fond courant avril 2020 et s'est négocié à 15 dollars!
Depuis, le marché croit à la reprise économique - synonyme de grosse consommation d’énergie, donc de pétrole - et le fait savoir. “Le cours de l’or [noir] continuera d’être influencé par le sentiment des opérateurs de marché sur les perspectives économiques, rappelle sur Daily FX Vincent Aufray, analyste des marchés. (…) Le rythme des campagnes de vaccination sera déterminant pour la reprise et donc pour le cours de pétrole.” L’injection de 1,5 million de doses chaque jour aux Etats-Unis est de nature à rassurer ce petit monde.
“Il n’y a que l’Europe qui, pour le moment, freine la hausse des cours de pétrole”, poursuit l’analyste. Le prolongement des mesures sanitaires et l’incertitude quant à la relance économique entretiennent les doutes sur une reprise normale de la consommation. Avant la crise, 100 millions de barils étaient consommés chaque jour dans le monde. La chute de la consommation mondiale (-8,8 % en 2020) n’est pas comblée par ce retard au redécollage.
Une envolée calmée par la décision de l’OPEP+ ?
Une augmentation de la quantité de pétrole à vendre pourrait calmer cette envolée. Justement, les principaux pays exportateurs de pétrole (OPEP+) se réunissent ce jeudi 4 mars pour décider du volume de leur production de barils. Ces Etats bloquent actuellement leur production à 7 millions de barils par jour, histoire de ne pas inonder les marchés et faire ainsi plonger les prix. “Plus les cours de pétrole seront hauts, moins il y a de chances que les membres de l’OPEP+ s’entendent sur une poursuite du gel de la production”, analyse Vincent Aufray.
Si les principaux producteurs décident d'ouvrir un peu les vannes, la montée des prix risque d'être freinée. Les observateurs tablent sur une ouverture progressive des robinets : les membres de l’OPEP+ devraient “remettre sur le marché davantage de barils le mois prochain, dans le sillage des récentes hausses de prix”, résume Robbie Fraser de Schneider Electric interrogé par l’AFP. La décision de jeudi est donc très attendue.
Incertitude pour les années à venir
En ce début d'année, la demande reprend des couleurs. Mais c’est l’offre qui devrait pâlir ces cinq prochaines années. En février, le géant Total évoquait un risque d’insuffisance de l’offre dès 2025. En cause : le sous-investissement chronique dans les nouveaux forages et l’essoufflement des pétroles de schiste aux Etats-Unis.
“Suite au Covid, l’architecture des financements a été pas mal secouée, explique Laurent Horvath, géo-économiste des énergies. Les grands pétroliers se concentrent sur les forages qui rapportent de l’argent. L’exploration et les gisements moins productifs sont mis de côté. Plus question de sortir un baril à 70-80 dollars. Depuis 2016, le taux de nouveaux gisements découverts est au plus bas. Depuis 2008-2010, toute la demande supplémentaire a été absorbée par le schiste canadien et américain. Sauf que les schistes sont à l’arrêt avec le Covid et qu’aux Etats-Unis les gisements les plus prolifiques sont épuisés.”
A l'horizon donc, le fameux pic pétrolier, c'est-à-dire le moment où l'extraction mondiale de pétrole aura atteint son niveau maximal, n’a plus rien d’une prophétie. De quoi maintenir durablement les cours à un niveau très élevé. “Vu les données actuelles, je pense que le prix du baril va augmenter vers 75-80 dollars, poursuit Laurent Horvath. Il y a un consensus pour une augmentation. Jusqu’où? Je ne sais pas. Mais je ne pense pas que le baril puisse monter beaucoup plus haut que 100 dollars. Cela risquerait de tuer l’économie qui est déjà fragilisée. Les compagnies le savent. Elles en tiennent compte dans leurs prévisions. On ne peut pas avoir une croissance soutenable avec un baril qui dépasse les 100 dollars.”
Pierre-Henri Girard-Claudon