Aux États-Unis, les policiers sont rarement condamnés pour meurtre
Le procès du policier Derek Chauvin pour meurtre intentionnel à l'encontre de Georges Floyd aurait dû débuter ce lundi 8 mars à Minneapolis. Son issue demeure incertaine tant il est compliqué de voir des policiers condamnés aux États-Unis.
Le 25 mai 2020, Georges Floyd décède sous le genou du policier Derek Chauvin à Minneapolis, aux États-Unis. Les images de sa mort et ses derniers mots ("I can't breathe" : "je ne peux pas respirer") a entraîné une vague de contestation dans la population américaine pour condamner les violences policières, surtout à l'encontre des Afro-américains. Le procès de Derek Chauvin pour "meurtre intentionnel sans préméditation" aurait dû s'ouvrir ce lundi 8 mars à Minneapolis. Même s'il a été reporté, il soulève des questions sur la condamnation des policiers par la justice américaine.
Avant Georges Floyd, les policiers impliqués dans les morts de Eric Garner en 2014, celle de Freddie Gray en 2015 ou de Breonna Taylor en 2020 n'ont pas connu de suites judiciaires. Au-delà des débats de société, le système judiciaire américain fait peser des doutes sur sa capacité à condamner les policiers pour diverses raisons.
Des poursuites déjà compliquées
Entre 2005 et 2015, sur les milliers de personnes tuées par les forces de l'ordre, seuls 54 agents ont été poursuivis par la justice selon une enquête du Washington Post. Des chiffres qui montrent la difficulté de tourner l'appareil judiciaire vers la police. D'abord parce qu'il est complexe de trouver un procureur qui acceptera de mettre en cause un membre des forces de l'ordres alors que ces deux domaines sont souvent "alliés". "C'est très contre-intuitif et ça arrive très rarement", explique Esther Cyna, historienne des États-Unis. Dans le cas de Derek Chauvin, c'est bel et bien le procureur de Minneapolis qui intente le procès.
D'autre part, les membres des forces de l'ordre disposent d'un statut juridique particulier appelé la "qualified immunity" ("immunité qualifiée"). Une mesure protectrice pour les policiers adoptée en raison de la violence à laquelle ils peuvent être sujets du fait de la nature particulière de leur fonction. Il en découle une grande difficulté pour les citoyens de réunir des preuves sur d'éventuels abus de force.
Les syndicats de policiers ont aussi un poids important lorsqu'il s'agit de convaincre l'opinion de l'absence de débordements. Plus particulièrement à Minneapolis où le président du syndicat Bob Kroll a été l'un des seuls membres de la profession à apporter son soutien à Derek Chauvin en décrivant Georges Floyd comme un "violent terroriste". Bob Kroll est parti à la retraite à la fin du mois de janvier 2021.
Le dernier obstacle, pour intenter une action en justice contre un policier, est celui de la jurisprudence. Selon la loi américaine, il faut trouver un cas de procès proclamé pour cette même action dans l'histoire des États-Unis afin de trouver un motif d'accusation crédible.
Des procès puis des non-lieux
Pour ce qui est des condamnations, les chiffres sont encore plus significatifs. Entre 2013 et 2019, 98 policiers ont été arrêtés pour des connexions avec des fusillades meurtrières et seulement trois ont été condamnés. Une fois que le procès débute, ce n'est pas pour autant qu'il aboutira à une condamnation. "Le jury a tendance à croire davantage les forces de l'ordre. (...) C'est plus simple de justifier les actions des policiers... Ils peuvent décrire l'agresseur comme menaçant, dire qu'ils pensaient qu'il avait une arme et ils sont crus." explique l'historienne Esther Cyna.
La composition du jury est aussi un écueil auquel se heurtent les plaignants. Les 12 jurés, qui doivent se prononcer à l'unanimité pour éviter un non-lieu, doivent être impartiaux selon la loi américaine. Hors, dans ce type d'affaire aux résonances internationales, il est très complexe de trouver un citoyen qui n'ait pas déjà un avis sur la question. Cette composition du jury peut prendre plusieurs semaines, d'autant plus que les avocats des deux parties impliquées peuvent chercher à évincer un juré qu'ils jugeraient "orienté". "Ce que craignent les défenseurs de Georges Floyd c'est que les avocats décident qu'être noir, c'est être partial." précise Esther Cyna. L'historienne rappelle le cas du procès du policier impliqué dans la mort de Michael Brown en 2014 qui avait débouché sur un non-lieu. "Le jury était majoritairement blanc alors que ça ne correspond pas du tout à la démographie de la ville de Ferguson où les faits avaient eu lieu." explique-t-elle. Il est par exemple difficilement concevable qu'une personne ayant participé aux manifestations de Black Lives Matter ne siège au jury de ce procès.
Enfin, les procès de violences policières notamment à l'encontre des Afro-américains découlent d'enjeux sociétaux et médiatiques capitaux qui peuvent influer sur le jury. L'audience de Derek Chauvin qui aurait dû s'ouvrir ce lundi 8 mars sera d'ailleurs filmée, de quoi rajouter de la pression sur les jurés. Le gouvernement américain craint aussi les éventuelles réactions en cas de non-lieu ou d'acquittement. Les militants de Black Lives Matter seront, de leur côté, très attentifs à la réaction de Joe Biden, peu importe le verdict.
Thomas Carle