Guerre d'Algérie : derrière Ali Boumendjel, des milliers d'autres cas de disparus
Emmanuel Macron vient de reconnaître la responsabilité de la France dans la mort d’Ali Boumendjel, disparu au cours de la bataille d’Alger, le 9 février 1957. Une reconnaissance qui pose la question de celle de milliers d’autres militants assassinés par l’armée française.
"Je ne suis pas pour la repentance", expliquait le général Paul Aussaresses, coordinateur des services de renseignement à Alger en 1957, invité le 23 novembre 2000 au 20h de France 2. Il est l’homme qui a ordonné l’assassinat d’Ali Boumendjel, 43 jours après son arrestation, le 23 mars 1957. L’armée avait alors maquillé sa mort en suicide en le jetant du sixième étage d’un bâtiment utilisé comme centre de torture. C’est dans ce même immeuble qu’avait été détenu et torturé Maurice Audin, un mathématicien français membre du Parti communiste algérien, disparu lui aussi au cours de la bataille d’Alger.
Ces deux cas ont fait l’objet d’une importante médiatisation car ils sont les seuls pour lesquels la France a pour l'heure reconnu son implication. Après celle concernant la mort de Maurice Audin, la responsabilité de l’armée dans la mort d’Ali Boumendjel été reconnue par Emmanuel Macron ce mardi 2 mars. À cette occasion, le chef de l’État a admis que l’assassinat avait été "rendu possible par un système légalement institué qui a favorisé les disparitions". Mais qu'en est-il des autres disparus ?
Des milliers de victimes
"Deux historiens, Fabrice Riceputti et Malika Rahal, ont exhumé, à Aix-en-Provence, un carton comportant un millier de fiches établies par la police française. Chacune d'elle correspond au signalement d'une disparition par ses proches", nous raconte Pierre Mansat, président de l'association Maurice et Josette Audin. Une découverte qui sous-entend un nombre nettement plus élevé de victimes : "Il est difficile de savoir combien de personnes ont été assassinées par les forces de sécurité françaises, mais certaines estimations tournent autour de 3.000", explique Gilles Manceron, historien spécialiste du colonialisme français.
Pour Pierre Mansat, "la reconnaissance par Emmanuel Macron du rôle de l’armée dans la mort de Maurice Audin et d’Ali Boumendjel constitue une avancée mais nous devons maintenant nous occuper des milliers de disparus dont les restes n’ont toujours pas été retrouvés." Ces morts ne s’expliquent pas seulement par le contexte de guerre entre indépendantistes et Français. "Dans ses mémoires, le général Aussaresses se vante des tortures, des pendaisons, des strangulations dont il a été le commanditaire. La répression a été d’une violence, d’un sadisme et d’une cruauté extrême", détaille Pierre Mansat.
Violence coloniale
La violence est telle qu’elle finit même par se propager à la métropole. Le 17 octobre 1961, une manifestation favorable à l’indépendance est violemment réprimée au cœur de Paris. Elle fait "plusieurs centaines de morts, affirme Gilles Manceron. De nombreux meurtres sont commis par noyade ou par strangulation, et des cadavres seront retrouvés dans la Seine pendant des semaines."
"Cette brutalité repose sur une violence inhérente à la colonisation elle-même, poursuit le chercheur. Elle se manifeste dans la foulée du débarquement de 1830", soit dès le début de la conquête française de l’Algérie. En d’autres termes, la guerre d’indépendance a simplement constitué le point culminant de la violence coloniale, déjà exacerbée par la défaite française récente en Indochine.
Aujourd'hui, la reconnaissance des milliers de victimes restantes se fait d’autant plus urgente que la trace de leurs corps, enterrés dans des fosses communes inconnues pendant la répression, risque d'être perdue au fur et à mesure que les derniers témoins direct de la guerre d'Algérie disparaissent.
Léo Durin