Affaire Julie : pourquoi la justice correctionnalise-t-elle les viols ?

Selon les associations, le nombre de condamnations pour viol a chuté de 40 % en dix ans, notamment en raison de la correctionnalisation. Crédit : Jeanne Menjoulet via Flickr

La Cour de cassation a rejeté, ce mercredi 17 mars, la demande de la famille de Julie*, qui réclamait que trois pompiers poursuivis pour atteintes sexuelles soient jugés pour viol. Les trois hommes ne seront pas jugés aux assises mais au tribunal correctionnel. Une correctionnalisation des viols qui les fait passer de crimes à délits, engendrant des peines plus faibles.

Malgré une large mobilisation féministe, la Cour de cassation a rejeté, ce mercredi 17 mars, la demande de la famille de Julie* qui réclamait que trois pompiers poursuivis pour atteintes sexuelles sur cette mineure soient jugés pour viol. L'affaire ne sera donc pas jugée aux assises mais bien au tribunal correctionnel. Un phénomène connu par les associations qui rappellent que si les plaintes pour violences sexuelles augmentent, le nombre de condamnations pour viol a chuté de 40% en dix ans, notamment en raison de la "correctionnalisation" des crimes sexuels.

Par dizaines, des militantes féministes étaient venues manifester leur soutien à Julie en novembre 2020 devant la cour d'appel de Versailles. Corinne Leriche, la mère de la jeune femme aujourd'hui âgée de 25 ans, y accusait trois pompiers d'avoir violé sa fille à plusieurs reprises entre ses 13 et ses 15 ans. Sortie du procès en pleurs, cette mère évoquait un "déni de justice", alors que la juge venait de confirmer le renvoi des pompiers en correctionnelle, requalifiant les crimes présumés en délits. Les trois hommes avaient pourtant été mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur mineure de 15 ans en réunion.

"Mais il ne faut pas oublier qu’en premier lieu, plus de deux-tiers des plaintes pour viol sont classées par les parquets, précise Véronique Le Goaziou, sociologue associée au CNRS, autrice de Viol : que fait la justice ?. La correctionnalisation n'est donc effective que dans le tiers restant."

Une démarche pragmatique

Selon elle, la requalification des faits de viols en agressions sexuelles ou atteintes sexuelles est d’abord pragmatique. "Le tribunal correctionnel coûte moins cher et va plus vite que la cour d’assises, détaille la sociologue. Si on envoyait tous les auteurs de crimes devant les assises, la justice exploserait !"

Après avoir enquêté sur des centaines de procédures judiciaires, Véronique Le Goaziou identifie d’autres raisons à ces requalifications courantes et légales. Une des plus importantes étant que "le viol est un crime difficile à établir car il faut pouvoir prouver la contrainte, la menace, la surprise et la violence", à savoir des preuves immatérielles ou trop datées pour être recevables. "Ainsi, aux assises, la preuve maîtresse, c’est l’aveu de l’auteur." Sans aveux, il vaut mieux pour les victimes passer par la correctionnelle, où les accusés peuvent être condamnés pour agression sexuelle.

"La justice est empreinte d’une vision classique des rapports sexuels"

De son enquête, Véronique Le Goaziou conclut que les affaires de viols sont correctionnalisées au regard des types de pénétration. "Les pénétrations digitales, avec objet, ou 'partielles' sont souvent requalifiées en agressions ou atteintes sexuelles, note la sociologue. La justice est empreinte d’une vision classique des rapports sexuels. On n'envoie aux assises que les plaintes pour pénétrations 'entières' et avec un pénis." En octobre 2020, la Cour de cassation avait ainsi validé l'utilisation du critère de la profondeur de la pénétration pour réfuter la qualification de viol d'un homme sur sa belle-fille.

"Par ailleurs, les juges n’envoient aux assises que ceux dont ils sont sûrs d’obtenir une condamnation, poursuit la sociologue. L’argument selon lequel la correctionnelle permettrait d’obtenir plus de condamnations ne tient pas. Le taux d’acquittement aux assises n'est que de l’ordre de 4 à 5%." Noémie Renard, autrice d'En finir avec la culture du viol confirme de son côté dans Libération que le taux de relaxe en correctionnelle est plus élevé que celui aux assises.

Éviter une procédure longue et douloureuse

Véronique Le Goaziou avance également de nombreux cas dans lesquels la victime préfère le tribunal correctionnel aux assises, signes d’une procédure longue et douloureuse : "Certaines tiennent à aller aux assises, comme Julie, mais d’autres privilégient la correctionnelle pour éviter de rendre l’affaire publique. D’autres encore souhaitent éviter à leur agresseur, souvent un proche (90% des viols sont le fait de proches selon une enquête Ipsos, ndlr), des peines trop lourdes."

C’est là tout le combat des associations qui refusent d’alléger les peines en cas de viols. L'association Osez le féminisme, partie civile au procès, rappelle que sur les vingt pompiers accusés d’avoir violé Julie au cœur d’un système organisé, seuls trois sont poursuivis pour atteintes sexuelles. L'association regrette que la correctionnalisation banalise voire minimise le viol et par là même, renforce l’impunité des agresseurs. D’après le Haut conseil à l’égalité femmes-hommes, une victime de viol sur dix porte plainte et une plainte sur dix aboutit à une condamnation, soit 1%. Concernant les viols sur mineurs, 0,3% des actes font l’objet d’un procès aux assises selon l’association Mémoire traumatique et victimologie.

La nouvelle réforme contre la correctionnalisation ?

Le renvoi en correctionnel de l'affaire Julie tient également au fait que l'accusation n'aurait pas pu prouver le non-consentement de l'adolescente. Alors le texte de loi adopté à l’Assemblée nationale pour déterminer un âge de consentement à 15 ans (en-deçà duquel tout acte sexuel serait considéré comme contraint) remédiera-t-il à cette correctionnalisation des viols ? “Les magistrats ne pourront plus poser explicitement la question du consentement à la plaignante, mais ils continueront de se poser la question”, craint Véronique Le Goaziou.

Fanny Ruz-Guindos-Artigue

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