Adolescents et réseaux sociaux : "Il faut rééduquer au consentement"

Photo d'illustration Crédit : Pixabay

Le cyberharcèlement a touché, pendant le premier confinement, 3% des adolescents, selon l'association e-Enfance. Nathalie Hoareau, psychologue à Lille et auteure d'une thèse sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement chez les élèves français, éclaire ce mécanisme qui se déploie sur les réseaux sociaux.

Lundi 8 mars, Alisha, collégienne de 14 ans, est retrouvée morte noyée dans la Seine à Argenteuil (Val-d'Oise). Les premiers éléments de l'enquête en cours suggèrent que la diffusion d'une photo intime sur Snapchat aurait joué un rôle dans le déroulé tragique des événements qui ont mené à sa mort, après une altercation avec deux de ses camarades de classe.

Une étude réalisée en mai 2020 par l'association e-Enfance observe que 3% des adolescents de 10 à 19 ans interrogés ont été victimes de violences en ligne durant le premier confinement où les relations des plus jeunes générations se sont concentrées sur les réseaux sociaux. Nathalie Hoareau, psychologue à Lille et auteure d'une thèse sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement chez les élèves français éclaire ce mécanisme qui provoque de graves conséquences psychologiques chez les victimes.

Le Bouillon : Le cyberharcèlement entre élèves s'accroît-il ?

Nathalie Hoareau : Dans ma pratique professionnelle, je ne constate ni de baisse - malgré les mesures de prévention - ni d'augmentation du nombre de jeunes patients pris en charge pour des questions de harcèlement et de cyberharcèlement. Je note toutefois que les problématiques sont beaucoup plus sévères. Il y a quelques années, les patients témoignaient de problèmes d'estime de soi. À présent, il s'agit de cas avérés avec des conséquences psychologiques importantes : des idées noires voire des idées suicidaires. Les conséquences sur la santé mentale impliquent régulièrement des hospitalisations rapides dans des structures médico-sociales.

L'échange de photos à caractère sexuel est une pratique répandue parmi les jeunes. Comment expliquer la diffusion de ces contenus sur les réseaux sociaux ?

Il y a parfois un manque d’éducation à des concepts de base, de respect de soi et de l'autre dans une relation saine et consentante. Durant ma thèse, j'ai demandé aux jeunes comment ils définissaient harcèlement et cyberharcèlement. Dans le premier cas, les formes de violences sont bien identifiées. Mais s'agissant du cyberharcèlement, seuls 7% des jeunes citent la diffusion de photos intimes comme une forme de violence. Lorsque je les interroge sur leur ressenti, ce qui ressort au-delà de la honte, c'est de la culpabilité - "je l'ai mérité" - et non pas l'impression d'avoir violé l'intimité de quelqu'un. L'enjeu est aujourd’hui de rééduquer les jeunes à la question du consentement. Envoyer une photo à une personne, ce n'est pas donner l'autorisation de l'envoyer à tous ses copains. En parallèle, il y a une forme de banalisation du harcèlement et des moqueries véhiculés par les émissions de télé-réalité qui contribuent à culpabiliser les victimes.

Quels sont les mécanismes collectifs qui mènent au cyberharcèlement ?

Rappelons-nous de notre propre comportement à 14-15 ans : on a plusieurs façon de réagir face à un groupe. Soit on participe, soit on suit en rigolant. En ligne, aimer un post irrespectueux est une forme de participation. Et puis il y a aussi les personnes qui regardent ça à distance et qui n'en font rien, au même titre que ceux qui ne réagissent pas quand quelqu'un se fait agresser dans le métro. Mais lorsque les agresseurs voient qu'ils peuvent agir en toute impunité, pourquoi s'arrêteraient-ils si personne ne leur fait prendre conscience des conséquences ? Pourtant, les auteurs de cyberharcèlement parmi les jeunes sont les premiers à s'effondrer quand ils réfléchissent à leurs actes, quelles que soient leurs motivations.

Qu'éprouvent les victimes de cyberharcèlement ?

Contrairement au harcèlement scolaire traditionnel, le cyberharcèlement n'a pas de limites temporelles et ne laisse aucun répit au corps et à l'esprit. Certains patients peuvent se faire harceler toute une soirée, recevant des centaines de commentaires haineux en quelques heures. Cela provoque des syndromes dépressifs accompagnés d'insomnies et de terreurs nocturnes. Dans neuf cas sur dix, on se retrouve aussi avec des attaques de panique régulières. Cela peut amener à de la phobie scolaire, sociale. Enfin, on peut aussi observer des troubles du comportements alimentaires : anorexie, boulimie ou hyperphagie. Quoi qu'il en soit, on observe une très forte chute de confiance et d'estime de soi.

Propos recueillis par Justine Daniel

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