Port de signes religieux : les lycéens bousculent la laïcité à la française, selon un sondage
Un sondage Ifop pour la revue de la Licra, publié ce mercredi 3 mars, relève qu'un lycéen sur deux se déclarerait favorable au droit d'arborer des signes religieux à l’école. Les élèves musulmans et ceux scolarisés dans les zones prioritaires (REP) seraient les plus critiques d'une laïcité à la française jugée peu inclusive.
Le sondage met en lumière un rapport pour le moins distancié des jeunes Français face à la laïcité justement dite "à la française". Réalisé sur un échantillon de 1.006 lycéens âgés de 15 ans et plus et publié ce mercredi 3 mars par la Licra, il affirme que la majorité des adolescents défendent une vision bien plus "inclusive" de la laïcité. Une doctrine dans laquelle prévaut le simple principe de neutralité de l’État. De fait, la tolérance affichée par les lycéens interrogés à l’égard des manifestations de religiosité dans l’espace scolaire tranche avec la tradition laïque du pays.
Cette étude questionne les adolescents sur la place qu'ils accordent aujourd’hui à la religion, le sens qu’ils donnent à la laïcité dans l’enceinte scolaire ainsi que leur point de vue sur le droit de "blasphémer", par exemple dans le journal satirique Charlie Hebdo.
Intégrer le port de signes religieux
Selon l’Ifop, c'est la première fois qu'une enquête montre que les lycéens seraient majoritairement pour le droit de porter des tenues religieuses dans les lycées publics. Plus d’un lycéen sur deux (52%) se dirait ainsi favorable à la possibilité d'arborer des signes religieux ostensibles dans les lycées publics, soit une proportion deux fois plus grande que dans la population adulte (25%).
Toujours d'après le sondage publié par la Licra, 52% des jeunes sondés sont favorables en général au port de signes religieux dans les espaces publics. Des résultats opposés à ceux d’il y quinze ans, lorsque l’enquête "REDCo : 2006 - 2009" révélait que la majorité des jeunes de 14 à 16 ans (58%) rejetait cette idée.
Aujourd'hui, 57% des lycéens soutiendraient aussi le port de tenues religieuses par les parents accompagnateurs, et 49% par les policiers ou professeurs. Ces résultats font écho à la polémique du 11 octobre 2019, quand Julien Odoul, élu du Rassemblement national (RN), avait exigé qu'une mère voilée, accompagnatrice d'une sortie scolaire, quitte le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté où il siège, "au nom de la laïcité".
🔴 [RT]Au nom de nos principes républicains et laïcs, j’ai demandé à @MarieGuiteDufay de faire enlever le voile islamique d’une accompagnatrice scolaire présente dans l’hémicycle. Après l’assassinat de nos 4 policiers, nous ne pouvons pas tolérer cette provocation communautariste pic.twitter.com/3WzqDEC3nn
— Julien Odoul (@JulienOdoul) October 11, 2019
La neutralité et rien de plus
Pour les lycéens, la laïcité assurerait avant tout la séparation entre le religieux et le politique. Mais contrairement à la tradition française, elle n'est pas pour eux synonyme d'un nécessaire recul de l'influence des religions dans la société.
29% des interrogés, soit 10 points de plus que chez l'ensemble des Français, associeraient la laïcité à l'idée de traiter toutes les religions de façon égalitaire. Un traitement que 68% des jeunes ne rattacheraient à "aucun courant", contre 16% l'associant à une idéologie de gauche.
Les facteurs socio-économiques déterminants
Cette laïcité revisitée est "particulièrement forte dans les rangs des adeptes des religions minoritaires (38%) – notamment les élèves de confession musulmane (37%) – mais aussi d’autres catégories souvent plus exposées aux discriminations telles que les personnes perçues comme « non blanches » (42%) ou résidant dans des banlieues populaires (37%)", souligne l'Ifop.
Le sondage met également le doigt sur la question du burkini lors des cours de natation, qui a soulevé des opinions plus contrastées. Cette tenue n'est soutenue que par une minorité de lycéens (38%) avec un net clivage entre les lycéens musulmans et les autres.
Interrogés sur les initiatives comme la Charte de la laïcité (2013), le Vade-mecum pour la laïcité à l'école (2018) ou les équipes "Valeurs de la République", lancées par le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer dans le but de renforcer la laïcité dans les établissements scolaires, 37% les jugeraient discriminatoires envers les musulmans. Un sentiment qui ne serait pas uniquement ressenti par les musulmans (81%), mais aussi par les élèves scolarisés en zone d’éducation prioritaire (55%), en lycée professionnel (43% en bac pro) ou étant perçus par les autres comme "non-blancs" (64%).
Elena Garcia