Les discothèques à l'agonie : s'adapter ou mourir

Un tiers des discothèques françaises ont fermé depuis le début de la crise sanitaire, un nouveau coup pour un secteur en crise depuis des décennies. Crédit : Amberskybrown, via Wikimedia Commons

430 discothèques ont déjà fermé depuis le début de la crise sanitaire, soit un tiers des établissements français. Dans un milieu en crise depuis les années 1980, il devient urgent de se réinventer.

"Un monde englouti". "Le crépuscule des boites de nuit". "La discothèque, une espèce en voie de disparition". La presse est unanime : le patrimoine nocturne français est en danger. Il est vrai qu’entre les années 1980 et les années 2000, la France a perdu plus de la moitié de ses boites de nuit, et les syndicats recensent 430 fermetures depuis le début de la crise du Covid-19, qui n’a rien arrangé.

Un chiffre d'autant plus inquiétant que la situation semble encore devoir s'aggraver. "Les fermetures ont été endiguées par les aides qui ont incité certains à ne pas déposer tout de suite le bilan, expliquait Patrick Malvaës, président du Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL) à Franceinfo. Mais on va passer à 600 dépôts de bilan très rapidement." Si elles veulent survivre, les "discothèques à papa" vont devoir se réinventer.

Les néons s'éteignent

Au cours des dernières décennies, les difficultés du milieu se sont accentuées. Entre 2008 et 2010, 800 discothèques ont fermé. Et ces dernières années, plusieurs boites symboliques ont disparu : le Pacha ferme en janvier 2018, après 43 ans au service des clubbeurs de Pessac. En juillet 2019, la plus grosse boite de France, la Clé des chants de Montrevel-en-Bresses, tire sa révérence. Enfin, en décembre dernier, aux portes de la pandémie, c’est le Kes-West, la plus grande discothèque au nord de Paris avec ses neuf salles, qui éteint ses néons à Béthune.

Alors, pourquoi les jeunes désertent-ils les rivages exotiques des Macumba de France ? "Internet a fait beaucoup de mal aux clubs, décrypte Ludovic Rambaud, rédacteur en chef de l'édition française de DJ Mag. Grâce aux plateformes de streaming, les jeunes peuvent reproduire l'expérience de la boite chez eux, et les réseaux sociaux constituent un lieu de sociabilité de substitution". Les mesures restrictives prises par l’État au nom de la santé publique n'ont pas aidé non plus. "Les tests d'alcoolémie systématiques sur les routes et l'interdiction de fumer dans les clubs ont planté le dernier clou dans le cercueil des clubs traditionnels", poursuit le spécialiste des musiques électroniques.

En plus de contraindre de plus en plus la liberté des clubbeurs, les boites de nuit traditionnelles ne répondent plus à leurs attentes. "Les jeunes considèrent que les discothèques à papa sont devenu trop kitschs, trop beaufs." Christian Jouny, propriétaire de trois discothèques à Guérande et délégué général du SNDLL, insiste aussi sur le pouvoir d'achat déclinant des Français : "Nous sommes dépendants de la situation économique. En 1983-1984, nous avions déjà beaucoup souffert de la récession."

430 fermetures depuis le début de la crise sanitaire

La crise sanitaire, qui les a forcés à fermer pendant un an – contrairement aux théâtres et aux bars, ils n’ont pas pu profiter de la parenthèse estivale –, n’a évidemment rien arrangé. "Au début, les petites discothèques ont été aidées, alors que les grosses ont été laissées de côté. Ça a changé en octobre, quand le gouvernement a accepté d’accorder 20% de leur chiffre d’affaires de 2019 à toutes les discothèques, mais nous avons quand même souffert", poursuit Christian Jouny. D'où les 430 fermetures recensées depuis le début de l'épidémie de Covid-19.

Le représentant syndical, optimiste, tente de mettre en avant la faculté d'adaptation des exploitants. Il loue la mise en place de systèmes de transports gratuits, pour amener et ramener leurs clients sans qu’ils aient à prendre leur voiture après avoir bu et le professionnalisme des acteurs du monde de la nuit. "En termes de sécurité et de prévention des risques, on s’est beaucoup améliorés. Il y a quarante ans, on parlait surtout des clubs dans les faits divers, ce n’est plus le cas." Le pire des exemples est l’incendie du 5-7, qui avait fait 146 morts en novembre 1970.

Pour Ludovic Rambaud, cependant, ce n'est pas suffisant. "Sur le terrain, on constate que les boites de province ont une fréquentation dramatiquement basse le vendredi." Il ne reste que le samedi aux exploitants pour rester à flot. "Les navettes, c'est la moindre des choses, mais en vérité, pour se démarquer, les boites de nuit doivent absolument proposer une expérience unique, autant artistique que sensorielle, qu'on ne doit pas pouvoir reproduire à la maison." Bien sûr, ces changements nécessitent des investissements importants, et, dans les zones rurales, ils ne répondent pas forcément aux attentes des jeunes. "Les patrons sont coincés", conclut le journaliste.

L'underground et le faste

Certaines boites, pourtant, arrivent à tirer leur épingle du jeu. D'abord, il y a celles qui reviennent aux fondamentaux de la culture club. "Les warehouses (bâtiments industriels abandonnés réutilisés pour la fête) de Chicago, New York ou Londres sont une source d'inspiration. Les gens recherchent à nouveau des endroits de mixité sociale et de revendication", analyse Ludovic Rambaud. Le mythique Berghain berlinois est un modèle pour cette nouvelle génération.

Les établissements qui s'inscrivent dans cette dynamique doivent aussi réussir à faire venir des artistes internationaux, qui ne passent nulle part ailleurs, pour se distinguer des vieilles discothèques, "simples endroits de loisir". Symbole de cette métamorphose, 37 clubs parisiens, nantais et marseillais se sont rassemblés au sein du Collectif culture bar bars pour demander à être reconnus comme des lieux culturels.

Dans un autre genre, les clubs selects, qui permettent aux plus riches d'effectuer des dépenses ostentatoires. "L'ambiance table dans un carré VIP et bouteille hors de prix, résume le journaliste. Ce genre d'établissements se multiplient en Chine, en Inde et au Brésil, des pays où le nombre de milliardaires augmente exponentiellement."

Le Macumba chanté par Jean-Pierre Mader, "érigé en modèle absolu pour les discothèques françaises pendant des décennies", risque donc bien de disparaître. Les clubs, eux, devraient survivre, sous leurs formes les plus subversives ou les plus bourgeoises. Le vrai perdant, c'est le maillage territorial de la fête française. "Les clubs doivent s'installer dans les métropoles ou à leurs abords, pour se rapprocher des bassins de population étudiants, conclut le journaliste. Une fois de plus, c'est la France périurbaine et rurale qui va être abandonnée."

Léo Durin

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