Covid-19, un an après : “Le premier confinement m’a ouvert les yeux sur la vie que je ne voulais plus avoir”
Il y a un an, le 17 mars 2020, la France se confinait pour la première fois pendant près de deux mois, face à la pandémie de coronavirus. Si cette période a été synonyme d’angoisses pour beaucoup de Français, certains considèrent qu’elle a eu un impact véritablement positif sur leur vie.
“Le confinement m'a permis d’aller mieux." Un an après le début du premier confinement, le 17 mars 2020, Cassandra Ducatillon, 20 ans, ne fait pas le même constat qu'une grande majorité de Français confrontés à cette mesure inédite, psychologiquement brutale. Et depuis répétée cet automne, et à nouveau en ce début d'année dans certains départements, tandis que le reste du pays vit sous le régime du couvre-feu.
En septembre dernier, Cassandra s'est rendue compte, avec le recul, de l'impact paradoxal de la période sur sa santé, après une dépression de sept ans. "Avant le premier confinement, j’étais totalement au bout, témoigne cette étudiante en journalisme. Je voulais arrêter mes études. J’avais des angoisses pas possible... J’étais insomniaque, je prenais des somnifères, des anxiolytiques.” Pendant deux mois, elle a pu prendre du temps pour elle et pour sa famille. Le 11 mai, date du premier déconfinement, l'étudiante s’est rendu compte qu’elle ne prenait plus de médicaments. "Ça montrait bien que j’allais mieux, souligne-t-elle. J’ai revu mes médecins, mes psys, on s’est mis d’accord : je n’avais plus besoin d’être suivie. J’allais mieux.” Avant de conclure : “Plus qu’un événement marquant, le confinement a été un vrai tournant dans ma vie.”
Se recentrer sur l’essentiel
Le cas de Cassandra n'est évidemment pas le plus courant. Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) le souligne : après le premier confinement, en mai 2020, 13,5% des personnes âgées de plus de 15 ans ont présenté un syndrome dépressif, soit une personne sur sept. Pour autant, d’autres ont pu profiter de ce moment pour mettre de l’ordre dans leur vie et considèrent aujourd’hui que le premier confinement a eu un impact positif sur leur santé mentale.
Jean-Luc Beaumont, psychologue à Lille, “a vu des patients changer” lors du premier confinement. “Le Covid-19 pose la question de l’instabilité du monde. En quelques jours, on peut être victime d’un virus létal. Les gens se recentrent sur ce qu’ils trouvent importants”, explique-t-il. Le praticien se garde bien de faire des généralités : si certains de ses patients ont pu ressentir les effets positifs du confinement, d'autres personnes souffrant de troubles psychiatriques ont vécu une expérience désastreuse. Mais il retrouve tout de même certaines similarités chez ceux qui ont connu une expérience bénéfique. “Par exemple, certaines personnes, qui n’aimaient pas particulièrement leur travail ou qui ne ressentaient pas de passion dans leur activité professionnelle, ou d'autres qui souffraient de phobie sociale, ont pu vivre le confinement comme une délivrance."
“S’il n’y avait pas eu cette coupure, je serais restée dans ma routine"
Mélodie Rumeau en est un bon exemple. Aujourd'hui, cette Montpelliéraine travaille en gestion administrative et marketing des entreprises. Un métier qu'elle exerce depuis février seulement. En mars 2020, cette employée administrative d'un collège s’est rendue compte que sa profession ne lui “correspondait absolument pas”.
Lorsqu’elle a dû retourner au travail après le premier confinement, elle a souffert “d’une belle dépression”. “Le réveil sonnait et je pleurais. C’était la première chose que je faisais dans la journée, témoigne-t-elle. Il fallait que je trouve une alternative, que je rebondisse.” En octobre, elle a démissionné. Quelques mois plus tard, elle se lançait dans sa nouvelle profession.
“Je revis un peu, après dix-sept ans de prison dorée”, sourit-elle. Aujourd’hui, Mélodie se demande si elle aurait pu avoir ce déclic sans le premier confinement : “S’il n’y avait pas eu cette coupure de deux mois, je serais restée dans ma routine, comme un robot. Finalement, ça m’a ouvert les yeux sur la vie que je ne voulais plus avoir.”
Le goût d’une nouvelle liberté
Pour Jean-Luc Beaumont, le confinement a ainsi permis aux Français d’avoir un recul sur leur vie : “Certaines personnes ont pris conscience que leur manière de fonctionner n’était pas la meilleure pour être heureux.” C’est cette révélation qu’a eue Johanna da Silva Rosa, dont la vie a fondamentalement changé depuis mars 2020. La jeune femme travaille alors à l’Opéra de Paris, aux relations avec le public. Les salles de spectacle étant fermées, son activité professionnelle est mise sur pause mais elle bénéficie du chômage technique.
“J’adore mon boulot, mais je n’en ai pas besoin pour me sentir exister, précise-t-elle. Et je ne suis pas non plus une personne qui s’ennuie facilement.” Alors, depuis un an, elle s’est remise à la lecture et à l’écriture, et aide ses amis bénévolement pour des tournages indépendants. “Cette année, je me suis vraiment sentie libre. C’est vraiment paradoxal de ressentir ça alors qu'on a été confinés deux fois et qu’on devait remplir des papiers pour sortir de chez nous”, commente-elle.
Johanna l’avoue. Elle a peur d’un retour à une vie normale. “Quand j’ai appris la date de la fin du premier confinement, ma première réaction a été « Oh merde. »” Depuis quelques semaines, elle doit parfois se rendre au travail pour quelques rares représentations, à destination “de publics extrêmement restreints”. Même si elle a manifesté une grande joie lorsqu’elle a revu ses collègues, elle sait ne plus être habituée à ce mode de vie : “On m’a donné une liberté, je n’ai pas envie qu’on me l’enlève !”.
Un an plus tard, la lassitude s’est installée
Ce sentiment en décalage avec celui de la majorité de la population ne doit pas déboucher sur de la culpabilité, estime Jean-Luc Beaumont : “Chaque personne a vécu cette période différemment. Ça ne devrait pas choquer de dire qu’on a bien vécu le premier confinement.” Mais le psychologue, qui observe actuellement une hausse des consultations, tient à nuancer. Le confinement de novembre puis la période de couvre-feu et de restrictions localisées actuelle, qui pourrait déboucher sur un troisième confinement, sont bien différents de ce qu'on a expérimenté au printemps 2020 : “Très peu de personnes le vivent bien. Les gens commencent à en avoir vraiment marre de ne pas voir leurs amis ou leurs proches. Il y a beaucoup de tristesse.” Un phénomène dont sont évidemment conscientes nos "cas isolés" : “D’un point de vue humain et économique, la pandémie est une catastrophe, reconnaît Johanna. Je suis un peu dans une bulle et je sais qu’autour de moi, c’est le chaos. C’est très culpabilisant.”
Brianne Cousin