Concilier engagement et profit : l'échec d'Emmanuel Faber, évincé de Danone

Emmanuel Faber dirigeait Danone depuis 2017. Crédit : Wikimedia Commons

Emmanuel Faber, PDG de Danone depuis 2017, a été évincé ce dimanche 14 mars par une coalition d'actionnaires. Le Grenoblois s'était distingué par une gouvernance tournée vers la justice sociale et la sauvegarde de l'environnement, quitte à accepter une perte de rentabilité.

Le Président-directeur général (PDG) de la firme Danone, Emmanuel Faber, avait déjà perdu la moitié de ses attributions au début du mois. Ce dimanche 14 mars, il a définitivement été remercié de son poste de président du conseil d'administration du géant laitier. Une éviction qui fait suite aux revendications de certains actionnaires du groupe, critiques depuis six mois de l'orientation donnée à Danone par Faber. Le leader français du yaourt a été distancé par ses principaux rivaux Nestlé et Unilever depuis l'apparition du Covid-19. L'éviction de Faber, PDG atypique aux convictions sociales, interroge sur les manières de concilier engagement et profit à court terme dans le monde de l'entreprise.

"L’économie ne doit pas avoir d’autre but que la justice sociale." Ces mots sont sortis de la bouche d'Emmanuel Faber en juin 2016 devant les étudiants d'HEC, son ancienne école. Le Grenoblois, devenu PDG de Danone en 2017, a toujours fait figure d'ovni dans le paysage des dirigeants de grandes entreprises. Il a ainsi fait de la firme la seule du CAC 40 à affirmer poursuivre des "objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux", au-delà de la recherche pure et simple de rentabilité. Cela relève du statut d'"entreprise à mission", théorisé par la loi PACTE, et acquis par Danone en juin 2020.

"Il va finir par transformer Danone en ONG"

La transformation en entreprise à mission avait d'ailleurs été très bien accueillie par les actionnaires de l'époque qui l'avaient approuvée à plus de 99%. Elle est surtout la suite logique d'une gouvernance tournée vers le social qui ravit à l'époque Franck Riboud, fils du fondateur de Danone et prédécesseur de Faber à la tête de la firme. En 2007, alors qu'il est seulement cadre de l'entreprise, ce dernier popularise déjà le "social business" avec son Danone Communities, un incubateur de micro-entreprises dans les pays pauvres. Il crée ensuite Danone Ecosystème, un fonds de soutien aux petits agriculteurs. Il se veut alors le défenseur d'une alimentation plus saine, plus respectueuse des hommes et de la planète. "Il va finir par transformer Danone en ONG", s'était amusé Franck Riboud dans un colloque interne.

Reste que les convictions d'Emmanuel Faber ne sont pas suivies par tous à Danone. Son rachat en 2016 de l'entreprise américaine WhiteWave, taulière des produits à base de lait d'origine végétale, pour près de 12 milliards d'euros fait grincer certaines dents en interne, comme le rapporte Capital : "Bien trop cher", "Pas de retour sur investissement suffisant", "Preuve que Danone ne savait pas innover seul sur ces produits d’avenir". Faber aurait surestimé la progression du lait végétal dans les habitudes des consommateurs même si cette acquisition a permis à Danone d'obtenir des nouvelles compétences techniques dans la transformation de ses produits.

Rattrapé par l'exigence de profit à court-terme

La gouvernance d'Emmanuel Faber apporte beaucoup à l'image du groupe Danone sur les réseaux sociaux et même jusqu'à l'ONU, où le PDG prend la parole pour défendre la biodiversité lors d'un sommet sur le climat en septembre 2019. Du côté économique, 2020 marque au contraire l'effondrement de la marge opérationnelle de Danone passée de 15.2% à 14% en un an alors qu'elle avait toujours augmenté sous la gouvernance de Faber. Lui juge la pandémie responsable, mais les concurrents Nestlé et Unilever ont fait grimper leur chiffre d'affaires sur la même période.

Le Covid-19 a en effet porté un coup fatal à l'activité "eau" de Danone. Une débâcle constatée alors que plusieurs actionnaires poussaient pour que le groupe se sépare de sa branche dédiée à l'eau. Une cession à laquelle Emmanuel Faber s'est toujours opposé, jugeant que l'activité "eau" répond aux enjeux d'une entreprise à mission alors que 15% de la population mondiale seulement a accès à l'eau potable. D'autre part, la gestion d'Emmanuel Faber en interne a pu jouer un rôle dans son impopularité face aux actionnaires. S'il mettait un point d'orgue à soutenir ses salariés, ce qui lui vaut aujourd'hui encore le soutien des syndicats, il n'a pas hésité à se séparer des cadres dirigeants. Des douze membres de son comité de direction de 2014, il n'en reste plus qu'un.

Engagement des entreprises ou "greenwashing" ?

Si l'engagement social d'Emmanuel Faber n'est pas le seul responsable de cette éviction, il a fait partie des arguments qui ont pu être mobilisés par les deux fonds d'investissements vecteurs de cette décision. Dans leur article "Responsabilité sociale et profit", les économistes Blandine Laperche et Dimitri Uzinidi considèrent que "le développement durable peut difficilement émerger de la seule stratégie des entreprises mues, dans le contexte, par une tension forte vers la réalisation de profit à court terme".

Beaucoup d'entreprises ont pourtant choisi le même type de politique sociale que Danone : "Une grande part de la responsabilité environnementale de l’entreprise apparaît alors comme un étalage de façade (window dressing) ou de la publicité mensongère (greenwashing), destinés à créer une image favorable de l’entreprise pour assurer la consommation des ménages, la mise au travail des salariés et la paix sociale.", poursuivent Blandine Laperche et Dimitri Uzinidi.

Difficile de dire si Emmanuel Faber versait dans ce type de communication, si l'engagement de "son" Danone était sincère ou si le groupe va poursuivre dans ce virage qu'il avait impulsé.

Thomas Carle

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