"Duras, j’ai compris après coup pourquoi ça m’avait plu"
Marguerite Duras est morte il y a 25 ans, le 3 mars 1996. À cette occasion, Le Bouillon a demandé à des lecteurs et lectrices de raconter leur première rencontre littéraire avec Un barrage contre le pacifique ou L’Amant.
Le 3 mars 1996, il y a 25 ans jour pour jour, Marguerite Duras disparaissait à l'âge de 81 ans. Par son écriture si particulière, sa froideur dans sa manière de raconter les sentiments, sa justesse quand elle décrit l’ennui et les femmes, l'autrice d’Un Barrage contre le pacifique ou encore L’Amant, prix Goncourt 1984, a marqué son époque. Elle a déstabilisé, passionné, marqué, mais aussi... ennuyé. Huit lecteurs et lectrices racontent leur première rencontre avec elle et son œuvre.
« Ce texte m’a mis une boule au ventre »
Louis, 25 ans, comédien: J’ai découvert Duras grâce à une pièce que j’ai jouée au CFA (école de théâtre d’Asnières, NDLR), il y a un ou deux ans. Je ne me souviens plus du titre de la pièce mais très bien de l’ambiance et de l’histoire. Ce sont deux amants qui se retrouvent pour se dire au revoir. Ils sont bouleversés et se détestent de s’être tant aimés. C’est un moment bizarre, un effondrement.
J’ai trouvé que, dans le thème et l’histoire, c’était très mélancolique. Marguerite Duras laisse une très grande place au temps, au vide et au silence. Il y a une lourdeur, aussi. Elle a un rapport particulier au passé, aux êtres qu'on perd.
Ce texte m’a mis une boule au ventre. C’était dur à porter. Elle est très terre à terre, pas du tout dans la niaiserie ou le sentimentalisme.
Embed from Getty Images« Je la lisais à haute voix »
Jean-Marc, 67 ans, professeur de lettres à la retraite: J’ai rencontré l’œuvre de Marguerite Duras en lisant son roman Les petits chevaux de Tarquinia. J’avais 22 ans et j’avais programmé de partir avec des copains à Florence et en Toscane pour découvrir les aspects artistiques de la région. J’ai un peu cherché quelles œuvres littéraires pouvaient préparer ou accompagner ce voyage et je suis tombé sur ce roman, Tarquinia étant un site antique étrusque de notre parcours.
Quand j’ai commencé ma lecture, j’ai été happé par l’atmosphère estivale d’une plage méditerranéenne écrasée de soleil, celle que j’avais connue pendant mon enfance. Ce que j’ai découvert au fur et à mesure, c’est l’ennui, traduit fidèlement dans l’écriture par la mention d’actes infimes du quotidien, par ces dialogues aux brèves répliques et par des répétitions jamais évitées.
J’étais entré dans l’univers de Duras, que je n’ai plus jamais quitté. J’ai lu toute l’œuvre, celles déjà parues en 1976 puis toutes celles qui paraîtraient, jusqu’à sa mort. Je la lisais à haute voix en marquant toutes les inflexions comme elle le faisait elle-même.
Devenu professeur de lettres, j’ai souvent étudié des œuvres de Duras, mais jamais Les petits chevaux de Tarquinia. Il y a des initiations amoureuses qu’il faut savoir garder pour soi.
« À étudier, c’est un calvaire ! »
Antoine, 24 ans, étudiant en lettres: J’ai lu Duras pour la première fois l’an dernier, c’était Le Vice-Consul et c’était dans le cadre de l’agrégation de lettres modernes. J’ai trouvé qu’il y avait des images très poétiques et fortes, mais dans le cadre de ce concours, il faut comprendre le texte sous toutes ses coutures. Et quand c’est hermétique comme ça, ce n’est pas le genre d’œuvre qu’on a envie de commenter. Il y a quelque chose chez Duras mais à étudier, c’est un calvaire.
L’univers qu’elle décrit est assez passionnant. Il y a quelque chose de marquant et violent dans les récits qu’elle partage. Mais elle peut avoir une espèce d’attitude un peu fatigante dans la façon dont elle dit les mots. C’est très intellectuel, je trouve.
« Pour une femme de ma génération, il était trop tôt pour la lire »
Danièle, 80 ans, retraitée: Je me souviens très bien de la première fois que j’ai lu Marguerite Duras. C’était Un barrage contre le Pacifique, j’avais 15 ou 16 ans. À la maison, on n’achetait pas de livres, alors je lisais ce qui me tombait sous la main.
Je me souviens que ça m’a déstabilisée. Ça a été vrai aussi pour ses autres textes, je trouve que ce n’est pas facile à lire. Elle me dérangeait, et en même temps elle m’a ouvert à d’autres horizons et m’a sortie de ma zone de confort.
J’ai relu ce roman, ou d’autres comme L’Amant, plus tard. Et je n’ai pas eu l’impression de lire les mêmes livres. Je pense que pour une femme de ma génération, qui n’avait encore jamais rencontré de garçons par exemple, c’était trop tôt pour lire Duras. Il valait mieux attendre.
« C’est un petit coup de poing, quand on lit Duras »
Muriel, 48 ans, plasticienne: Je pense que la première fois que j’ai lu Duras, c’était au moment de la sortie de L’Amant, de Jean-Jacques Annaud, en 1991. Je n’ai pas aimé le film, mais j’ai adoré le livre.
J’ai découvert un style unique. C’est un petit coup de poing, quand on lit Duras. J’ai compris après coup pourquoi ça m’avait plu. Elle travaille sur l’effacement, à travers des scènes anodines du quotidien, des dialogues plats, dans un style très épuré, avec une économie de mots. Elle va au plus intime des personnages.
Marguerite Duras m’a donné envie de lire d’autres femmes. Ses personnages féminins ne sont pas tendres du tout, elles sont très affirmées, très libres.
« Parfois, j’allais en piquer dans le bureau de mon grand-père »
Chloé, 25 ans, agrégée de lettres: La première fois que j’ai lu un livre de Duras, c’était L’Amant. J’étais en troisième. Parfois, j’allais en piquer dans le bureau de mon grand-père. C’était une ancienne édition avec une couverture cartonnée bleue et des rainures en or.
J’ai bien aimé, même si sa relation avec l’amant était un peu flippante. Je me rappelle m’être dit que c’était un peu bizarre, que ce mec soit si vieux et qu’elle soit adolescente… C’était à la fois bizarre et très impressionnant. Ça m’a donné envie d’en lire d’autres.
Je pense que quand on en lit beaucoup, on finit par rigoler des tics de l’autrice. Comme des passages du Vice-Consul où on ne comprend rien. C’est un peu métaphysique pour rien. Je me moque un peu, mais je pense que c’est ce que j’aime bien aussi. Je trouve ça hyper beau d’écrire des choses obscures et de les assumer.
Propos recueillis par Marion Mayer