Théâtre du Nord occupé : "Ceux qui sont là, ce sont des saltimbanques"

Un peu moins de 200 personnes environ se sont rassemblées devant le Théâtre du Nord, vendredi après-midi, en protestation à la fermeture des lieux culturels. Crédits : Louis de Briant

Plusieurs artistes se relaient depuis jeudi 11 mars au soir pour occuper le Théâtre du Nord, à Lille, en protestation à la fermeture des lieux culturels. Ce sont souvent des artistes précaires, en fin de droit ou qui n’ont pas cumulé assez d’heures.

L’assemblée générale n’a même pas commencé, mais les idées fusent déjà vendredi 12 mars, au matin. "Il faut se demander quelle est la relève, quelles sont nos forces ?" demande l'un. "Et qui est motivé, qui peut dormir certaines nuits ?" lance une autre. "Il faut toucher les gens, il faut les faire pleurer !" propose quelqu’un. Et ne pas oublier les questions pratiques : "Est-ce qu'on demande aux gens de ramener des sandwichs ?"

Maxime (debout), comédien, lance l'assemblée générale : "La parole de tous et toutes est importante, personne n'est illégitime à parler", rappelle-t-il.

Une vingtaine d’artistes, intermittents du spectacle ou non, se sont donnés rendez-vous vendredi 12 mars matin dans le sous-sol du Théâtre du Nord, qu’ils occupent depuis la veille. Les mesures de soutien annoncées par la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, qui a promis 20 millions d'euros supplémentaires à la culture, font l’unanimité contre elle. Les intermittents mettent en avant trois revendications : la prolongation de l’année blanche pour tous, afin de pouvoir recharger leurs droits et toucher le chômage, l’abrogation de la loi sur l’assurance-chômage, qui doit entrer le 1er juillet et surtout la réouverture des lieux culturels.

La culture, ce qui tient au corps et cœur

La décision du gouvernement de maintenir fermés les lieux de culture leur semble ridicule. "Pourquoi peut-on regarder Jésus en laissant un siège sur deux à l'église et pas Tartuffe au théâtre ?" lance Stéphane Vonthron, clown hospitalier de 45 ans. Marie-Pierre Feringue, comédienne et metteuse en scène de 59 ans, souligne que la culture n’est pas qu’une nourriture de l’âme, mais a aussi un effet sur les corps : “Il faut laisser rentrer les gens qui font cinq minutes de poésie avec les vieux dans les Ehpads ! La force de la culture ne se trouve pas que dans les théâtres.”  

Stéphane Vonthron, clown à l'hôpital, tient à rappeler qu'"on se bat aussi pour les plus précaires".

La direction leur a apporté son soutien, les artistes se demandent maintenant quelle suite donner au mouvement. "On est dans un théâtre qui s'est libéré, qu'est-ce qu'on en fait ?" demande François Schmitt, un grand barbu de 38 ans, chanteur, pianiste et accordéoniste à ses heures perdues. Il propose de rester, et d’occuper le terrain : "Il vaut mieux aller sur le marché de Wazemmes et ne pas être les forcenés du Théâtre du Nord”, défend-il.

François Schmitt, chanteur et pianiste, n'a touché que dix cachets cette saison, contre 90 en temps normal : "J'ai fait des répétitions, des répétitions et animé des ateliers de théâtre scolaire", pendant la "brève fenêtre de tir" de l'été, raconte-t-il. Autrement, c'est "un naufrage absolu".

Soutien ou pas soutien, telle est la question

La question du soutien politique à l’initiative est essentielle. La mairie de Lille a assuré les artistes du sien, mais tous ne sont pas prêts à attendre un geste. Quentin, un jeune comédien aux cheveux en bataille, prend en exemple la situation à l'Odéon, qui joue selon lui un mauvais remake de En attendant Godot : "Ils attendent que quelqu'un arrive à l'Odéon et disent « oh personne n'est venu aujourd'hui ». On ne va pas ouvrir la porte et attendre Martine Aubry !". 

Jean-Max, du syndicat des artistes et interprètes, n'est pas de cet avis. "Il y a des gens extrêmement précaires, qui ont travaillé deux ou trois jours depuis mars. Il faut avoir conscience de ça", rappelle-t-il. Lui demande de vrais soutiens de la part des responsables politiques, sans oublier de profiter de cette expérience, après une année qui en a paru dix : "Ne boudons pas notre plaisir d'être ici", ajoute-t-il.

Une vidéo sur les réseaux sociaux montrant des artistes en train de chanter devant une banderole sans masque, devant la gare du Nord, à Paris, fait jaser. "On s'était engagés à respecter les gestes barrière", rappelle l'un. Les participants ont à cœur de se présenter comme respectueux des normes sanitaires. Il est finalement décidé de publier un message sous la vidéo pour l’expliquer. “On n’a jamais désobéi en étant irréprochables !” proteste Stéphane.

Derrière les masques, des augustes, pas des clowns tristes

Désobéir, ils vont pouvoir le faire l’après-midi même. Peu après 14 heures, la musique retentit sur la Grand Place, en toute légalité puisqu’il s’agit d’une manifestation. François Schmitt, le musicien, savoure. "On réclame ce droit-là comme on réclame le droit de respirer !" Pour lui, les artistes présents sont les plus précaires. "Ceux qui sont là, ce sont des saltimbanques, ceux qui savent qu’ils ne sont pas représentés." Il cite en exemple sa compagne, Virginie Velprey, une ancienne avocate qui s’est reconvertie dans la musique il y a 18 mois. "Je ne regrette rien", assure-t-elle.

Les saltimbanques sont en effet bien représentés sur la place. Laurette, 27 ans, est clown à l'hôpital après avoir exercé comme animatrice. Elle a perdu ses heures en décembre dernier alors qu'il ne lui en manquait qu'une vingtaine. Elle n'est donc pas intermittente du spectacle, ce qui lui donnerait accès au chômage. "J'ai l'espoir, jure-t-elle pourtant. Je serais toute seule, je ne l'aurai pas mais là on est trop nombreux." 

Pour Laurette, clown à l'hôpital, "une deuxième année blanche ne va pas tuer le gouvernement. On est un peu les oubliés, je trouve".

Capsule, elle, a décidé de jouer son rôle de clown jusqu’au bout. "Je ne travaillais pas aujourd'hui, je me suis dit « je vais aller là, il y a du spectacle ». Ça me manque" déclare-t-elle d'un air innocent. Son visage est maquillé tout en blanc, est-elle un clown triste ? "Je ne suis pas triste aujourd'hui !"

Le clown Capsule a eu envie de rejoindre les manifestants sur un coup de tête, jure-t-elle : "Tout le monde a l'air gai, on s'épaule, il y a un échange."

Danser jusqu’au bout de la pluie

L'après-midi, les déclarations publiques s'enchaînent. Maxime, comédien, fait remarquer qu'il s'agit "du premier mouvement social pour rouvrir un lieu de travail".

Quelques responsables politiques ont fait le déplacement pour les soutenir. Marie-Pierre Bresson, adjointe à la culture de Lille, assure que la mairie est à leurs côtés. Ugo Bernalicis, député La France Insoumise du Nord, se veut également solidaire des artistes, mais aussi parce que "sur une note plus personnelle ça fait du bien d'être là, de danser dehors".

Sur la Grand Place, et malgré le crachin lillois, les artistes semblent en tout cas déterminés à poursuivre le combat. Ils entament une chanson du groupe HK, Danser encore : "Nous on veut continuer à danser encore / Voir nos pensées enlacer nos corps / Passer nos vies sur une grille d’accords." Comme on dit dans le showbizz, le spectacle doit continuer.

Après le théâtre du Nord, en plein coeur de Lille, les intermittents du spectacle souhaitent désormais occuper le théâtre Sébastopol.

Louis de Briant

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