"Même pas un rappel à la loi" pour la mort d'Alisha : l'étonnant raccourci de Rachida Dati
Invitée de Jean-Jacques Bourdin ce vendredi 12 mars sur RMC et BFMTV, l'ancienne ministre de la Justice Rachida Dati a asséné que la responsabilité pénale des deux adolescents de 15 ans, suspectés d'avoir assassiné leur camarade de lycée à Argenteuil, risquait de ne pas être retenue simplement parce qu'ils n'en concevraient pas de regrets. Une simplification assez radicale du droit français…
Invitée ce vendredi 12 mars sur BFMTV/RMC, Rachida Dati, ex-ministre de la Justice, n'a pas manqué d'être interrogée sur l'affaire d'Argenteuil. L'occasion de livrer une analyse quelque peu surprenante à propos de l'adolescent suspecté, avec sa petite amie âgée comme lui de 15 ans, de l'assassinat de la jeune Alisha, morte noyée dans la Seine. "Le procureur dit qu'il n'a pas spécialement exprimé de regret. Donc il peut très bien dire : 'Je ne me suis pas rendu compte de ce que j'ai fait' et la justice dira que son discernement était aboli, et comme il n'a pas compris ce qu'il faisait... pas de condamnation", a asséné devant Jean-Jacques Bourdin la maire LR du VIIe arrondissement de Paris.
"- Et donc, il risque un simple rappel à la loi ? Je ne peux pas y croire...
Rachida Dati face à J.J.Bourdin
- Même pas, on dira que c'est pas bien."
Un raccourci surprenant pour la magistrate de carrière, qui fut garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy. Interloqué, Jean-Jacques Bourdin ose une relance : "Et donc, il risque un simple rappel à la loi ? Je ne peux pas y croire...". Rachida Dati maintient sans ciller : "Même pas, on dira que c'est pas bien". En clair, l'ancienne ministre n’hésite pas à clamer que si les adolescents suspectés persistent à ne pas faire montre de mauvaise conscience quant à leur geste présumé, ils s'en tireront avec un simple tirage d'oreille du juge. De quoi, en effet, faire sursauter l'auditeur au petit-déjeuner quant à l'état de la justice française.
En réalité, comme l'a indiqué le procureur de Pontoise lors de sa conférence de presse mercredi, les deux suspects de l'assassinat d'Alisha encourent jusqu'à vingt ans de prison. En laissant entendre que la responsabilité des suspects risquait de ne pas être retenue s'ils indiquent qu'ils ne se sont pas rendu compte de la gravité de leur acte présumé, Rachida Dati fait un raccourci étonnant, sur une notion mal connue du grand public : l'irresponsabilité pénale des mineurs.
L'irresponsabilité dépend d'une expertise psychiatrique
Certes, depuis 1945, les délinquants mineurs âgés de 13 à 18 ans sont présumés irresponsables. C'est-à-dire que le droit considère simplement qu'il n'est pas établi, par avance, qu'ils aient une conscience aussi éclairée qu'un adulte. Mais cette présomption saute dès lors qu'il est établi que les mineurs sont capables de discernement, et l'article 122-8 du Code pénal le précise clairement. Or pour établir une irresponsabilité, la loi est très claire : il faut que les auteurs présumés des faits ne soient "pas atteints, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli leur discernement au moment des actes" (article 122-1 du Code pénal).
Donc, comme pour tout accusé, en l'absence d'un tel diagnostic - qui doit être établi par un psychiatre habilité par la justice -, un mineur âgé de plus de 13 ans est pénalement responsable en droit français. Seuls les enfants âgés de moins de 13 ans sont totalement irresponsables sur le plan pénal. Sur ce point, là encore, le droit est très clair depuis 1945, date à laquelle la France a aboli une législation très punitive qui pouvait conduire un enfant mendiant au bagne.
La sortie de l'ex-magistrate en chef est d'autant plus étonnante que c'est elle qui, lorsqu’elle dirigeait le ministère de la Justice, a durci en 2008 la législation en matière d'irresponsabilité pénale. Depuis cette réforme, à l'issue de son enquête, un juge d'instruction ne peut plus décider unilatéralement de retenir l'irresponsabilité pénale d'un suspect dont les troubles psychiques ont été constatés par un psychiatre. Le procureur de la République et toutes les parties (dont les victimes) peuvent en effet le contredire en formant une sorte d'appel, qui permettra une nouvel examen de la responsabilité. Résultat, l'irresponsabilité totale en matière pénale est de plus en plus rarement retenue, y compris lorsqu'il s'agit de mineurs. D'ailleurs, le cas échéant, la juriste devrait savoir que l'irresponsabilité pénale conduit à un non-lieu, c'est à dire à l'arrêt des poursuites judiciaires, et non pas à un rappel à la loi.
Les suspects de l'assassinat d'Alisha risquent vingt ans de prison
Concernant l'assassinat d'Alisha, rien ne permet d'affirmer à ce stade de l'enquête que les deux adolescents suspectés aient souffert, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique. Ils ont d'ailleurs été placés en détention, dans l'attente de la suite. Une expertise psychiatrique sera évidemment menée, a d'ores et déjà annoncé le procureur, comme c'est le cas dans ce type d'enquête criminelle, afin de déterminer si les suspects sont aptes à comparaître en cour d'assises.
Reste une spécificité de la justice pour enfants : les mineurs âgés de 13 à 16 ans bénéficient de ce que l'on appelle une "excuse de minorité". C'est-à-dire que les peines qui leur sont appliquées sont réduites de moitié par rapport à celles des adultes. Dans le cas du crime commis à Argenteuil, si la préméditation est retenue, l'assassinat est passible de la perpétuité pour les adultes, de vingt ans de prison pour les mineurs. On est loin d'un simple avertissement.
Pierre Lann