César 2021 : en France, le cinéma reste mieux récompensé que les séries
La 46e cérémonie des César se déroule ce vendredi 12 mars 2021 (en clair sur Canal+). En raison de l'épidémie de Covid-19 et de la fermeture des cinémas, peu de films ont été sélectionnés. A l'inverse, les séries, absentes de la sélection et qui n'ont pas de cérémonie majeure en France, ont été consommées en masse par les spectateurs forcés de rester chez eux. Ne serait-ce pas le moment de leur faire une place de choix, comme le font déjà les États-Unis ?
Après quasiment un an sans salles de cinéma, les César risquent de donner cette année une curieuse impression de jamais-vu. Confinés ad nauseam, les spectateurs français ont passé plus de temps, sous leur couette ou depuis leur canapé, avec des héroïnes de séries que des héros de cinéma. Qui en effet a eu le temps de voir "ADN", de Maïwenn, sorti à peine une semaine avant le reconfinement, tandis que le succès d'un "Lupin" a fait briller Omar Sy dans le monde entier ? Un décalage qui pose, plus que jamais, la question de la célébration, quasi-absente en France, des séries par rapport au cinéma, quand aux États-Unis la frontière entre les deux s'efface depuis déjà plusieurs années…
Pas d'équivalent des Emmy Awards en France
Les séries ont pourtant depuis quelques années leurs festivals dédiés en France. Séries Mania à Lille et Canneséries sur la Croisette sont parmi les plus réputés. Si ces événements de grande ampleur récompensent le meilleur du format sériel, tous pays confondus, ils masquent la pénurie de manifestations dédiées à la seule production française, comme le sont les César au cinéma. Dernier exemple en lice : le Festival des Sept d’Or, organisé par le magazine de programmes télévisuels Télé 7 Jours, a rendu les clés en 2003. Aujourd’hui, la France ne compte pas d’équivalent aux Emmy Awards (prix de la télévision) ou aux Golden Globes (cinéma et télévision) américains, ni aux BAFTA anglais (cinéma, télévision, jeux vidéos).
Encore une exception française, qui rougit cette fois-ci d’être en retard. Comment l’expliquer ? “Tout simplement parce que nous n’avons pas cette culture des séries, nous explique Pierre Langlais, auteur de Comment créer une Série, journaliste au Cercle Série sur Canal+ et cofondateur de l’Association des critiques de séries (ACS). En France, ce n’est pas encore considéré comme une forme culturelle majeure alors que ça l’est chez nos voisins.”
Netflix, grand gagnant en France
Longtemps considéré comme le parent pauvre de la production fictionnelle - la qualité des feuilletons de la télévision publique a mis du temps à décoller, et les grands succès critiques restent encore marginaux -, le genre jouit aujourd’hui d’une popularité inédite depuis que les géants de l’industrie du streaming s’en sont appropriés les codes. Netflix, Disney+, Amazon Prime et OCS en tête, les plateformes ajoutent maintenant à leur catalogue d’acquisition leurs productions maison.
Et ça fait mouche ! Selon les derniers résultats Médiamétrie, Netflix s’impose largement au Top 10 des séries disponibles par abonnement les plus vues en France en 2020. L’espagnole "La Casa de Papel" l’emporte haut la main, devant les Américaines "Lucifer", "13 Reasons Why" et "The Crown". Mais pas l’ombre d’une série française au classement… “C’est l’autre problème. Ce qui fait le sel des nominations, c’est d’avoir une bataille serrée. Or en France, il n’y a pas encore assez de concurrence pour remplir une catégorie entière”, ajoute Pierre Langlais.
En clair, derrière le succès international de "Lupin", les séries tricolores qui cartonnent en France auraient du mal à trouver leur place dans un classement artistique. Une compétition 100% française devrait donc se démarquer des résultats de l’audimat. Ainsi, la série reine de France 3, "Capitaine Marleau", en fédérant 7,78 millions de téléspectateurs en moyenne, figure de nouveau en première position du classement des séries télévisées françaises de l’année 2020 ; mais pas sûr qu’elle soit du goût des votants de l’Académie...
Pas de retombées internationales
Bien sûr, des pépites françaises capables d’accorder public et critiques existent, à l’instar de "Dix pour Cent" (France Télévisions), "Le Bureau des Légendes" (Canal+), "Engrenages" (Canal+) ou les récents "No Man’s Land" et "En Thérapie" (Arte). “Mais ce n’est pas assez bankable ! Pour qu’un César de la série voit le jour, il faudrait une starification de la même ampleur que pour le milieu cinéma, analyse Pierre Langlais. Pour éviter d’assister à une cérémonie à deux vitesses, avec les stars du cinéma d’un côté, et les inconnus de l’autre.” Car tout est business, et il faut que les producteurs et les organisateurs mettent en avant des têtes d’affiches qui rapportent gros, en attirant des annonceurs.
Et même si une porosité entre cinéma et série prend petit à petit de l’ampleur (le duo Toledano-Nakache aux manettes d’"En Thérapie", le casting trois étoiles de "La Flamme" sur Canal+), les retombées ne sont pas internationales. “Ce n’est pas non plus Marion Cotillard ! Alors qu’une star comme Olivia Colman, qui fait le yo-yo entre cinéma et série sans cesse, rafle tous les prix dans chaque catégorie", souligne Pierre Langlais. Outre-Atlantique, au contraire, une Nicole Kidman n'hésite pas à jouer dans la série "Big Little Lies", ou encore Jude Law dans "The Young Pope".
Enfin, dernier obstacle auquel devrait se heurter un équivalent français des Golden Globes : les catégories. S’il est évident qu’il faudrait dupliquer chaque prix existant pour le cinéma afin de récompenser les séries - et rallonger de fait une cérémonie déjà bien longue -, une nouvelle devrait aussi s’imposer : celle du showrunner, ou scénariste général. C’est le poste clé de voûte des productions sérielles, celui qui porte toute création et veille à son uniformité. Un métier indispensable mais encore trop invisible en France. Il commence cependant à se faire entendre cette année pour demander une meilleure considération dans le milieu. Qui connaissait, avant qu'elle ne claque la porte de "Dix pour cent", sa scénariste générale Fanny Herrero, tandis qu'aucun millennial n'ignore aujourd'hui le nom de Shonda Rhimes ("Greys Anatomy", "Murder, "La Chronique des Bridgerton").
Marion Michel