Suicides : les victimes indirectes de Fukushima

Catastrophe nucléaire de Fukushima : aucune victime directe des radiations parmi la population, mais une hausse des suicides. Crédits photo : Digital Globe via Wikimedia Commons

Dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, la majorité des anciens habitants n'est toujours pas revenue vivre dans la préfecture japonaise. Un traumatisme avec des conséquences psychologiques allant jusqu'au suicide pour certains d'entre eux.

Une triple catastrophe : le vendredi 11 mars 2011, un séisme suivi d'un tsunami ont tué plus de 18 .000 personnes au Japon, quand la centrale de Fukushima Daiichi a été lourdement endommagée. En ce qui concerne ce troisième volet du drame, selon les dernières données scientifiques, aucun décès ne serait directement imputable aux radiations parmi la population de la région, hors l’impact médical sur certains employés de la centrale. 

Pourtant, l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest relevait, en 2019, "2.267 décès indirects dus à des suicides ou à une dégradation des conditions de santé suite à l'évacuation". La même année, un récapitulatif de Libération rappelait en effet que 470.000 personnes au total ont été évacuées après le tsunami et l’accident de la centrale. Parmi elles, plus de 160.000 ont quitté les zones touchées par les radiations, dans la préfecture de Fukushima. Une minorité seulement est revenue depuis lors. 

Certains habitants, malades ou alités, n’ont pas survécu aux déstabilisations hospitalières et aux transferts après la catastrophe. Familles déplacées, deuils, problèmes économiques… Les conséquences psychologiques s’ajoutent à ce bilan, conduisant à un pic de suicides après l’accident. Certains témoignages évoquent même des personnes âgées se laissant mourir, après une perturbation aussi violente de leur vie

Responsabilité établie de l’opérateur de la centrale dans certains suicides

En 2018, l’opérateur de la centrale nucléaire, Tokyo Electric Power (Tepco), a d’ailleurs été condamné à dédommager les proches d’un homme qui s’est suicidé en 2011. Fumio Okubo, 102 ans, le plus vieux résident d’un village à 40 kilomètres de la centrale, ne supportait pas de quitter sa maison lorsque les autorités japonaises avaient ordonné l’évacuation de la région. C’était le deuxième dédommagement accordé par la justice japonaise, après une première amende infligée à Tepco en 2014 pour le suicide d’une autre habitante.

Un accord à l’amiable avait été trouvé dès 2013 entre l’opérateur et la famille d’un agriculteur, qui avait mis fin à ses jours après l’interdiction de vente de produits agricoles dans la région. "Je voulais juste que Tepco arrête de dire que personne n'avait été tué dans l'accident nucléaire", avait insisté le fils du suicidé, attendant des excuses. Au Japon, la responsabilité de la catastrophe nucléaire et de Tepco dans ces suicides n’est donc plus à prouver.

"Augmentation significative" du taux de suicide chez les hommes

En 2018, une étude est revenue plus largement sur les taux de suicide dans les zones évacuées après le désastre nucléaire de Fukushima. Les auteurs ont découvert que juste après le drame, le taux de suicide des hommes avait "augmenté significativement" dans les aires évacuées, avant de se réduire puis de connaître un nouveau pic quatre ans plus tard. Les femmes se sont quant à elles davantage données la mort un an et demi après la catastrophe nucléaire, même si l’échantillon est trop faible pour tirer des conclusions complètes. 

L’étude souligne donc qu’il ne faut pas se contenter de considérer les statistiques immédiates lorsque l’on établit un bilan des conséquences psychologiques d’une catastrophe comme Fukushima, mais de garder en tête que les suicides peuvent de nouveau augmenter quelques années plus tard. 

Des impacts sur la santé mentale qui persistent dix ans après l’accident

Interrogé par Le Bouillon, Seiji Yasumura, co-auteur de ces travaux, ajoute : "Les dépressions chez les personnes évacuées de Fukushima diminuent d’année en année, mais sont encore à un niveau supérieur que chez le reste des Japonais". Le professeur à l’université de médecine de Fukushima note aussi que les suicides ont été plus fréquents dans cette ville qu’à Iwate et Miyagi, où le tsunami avait fait davantage de victimes. 

Abordant des conséquences moins dramatiques, certaines études récentes se sont penchées sur d’autres impacts psychologiques de la catastrophe et des déplacements de population : alcoolisme, stress post-traumatique... En 2020, une étude a même souligné que contrairement aux hypothèses, le stress post-traumatique (qui touchait jusqu’à 47% des réfugiés en 2017) et l’anxiété concernant les effets sanitaires des radiations restaient élevés, même après une réinstallation permanente des anciens déplacés.

Maya Elboudrari

🧑‍🍳 On vous recommande