"Pas de confinement tant que l'hôpital peut tenir" : l'exécutif maintient son pari francilien
Plus de 1.000 patients en réanimation, 40% des opérations déprogrammées, circulation "ultra-active" du virus en Seine-Saint-Denis : l’Île-de-France voit ses voyants passer un à un au rouge sans que de nouvelles mesures soient prises dans l’immédiat. Une stratégie délibérée des autorités.
"L'épidémie est en train de monter en flèche dans la région", a résumé ce mercredi 10 mars Valérie Pécresse, invitée de BFM Business, alors que la semaine s'annonce décisive sur le front épidémique en Île-de-France. Lundi, les hôpitaux et cliniques de la région ont reçu "l'ordre ferme" de déprogrammer 40% de leurs activités médicales et chirurgicales pour faire de la place aux patients Covid.
Mardi, le nombre de malades admis en réanimation a dépassé le palier des 1.000, alors qu’environ 1.050 lits étaient disponibles selon l’Agence régionale de santé (ARS). Les déprogrammations doivent permettre de monter jusqu’à 1.500, mais c’est peu dire que la situation est tendue.
Malgré cette tension extrême, le confinement en Île-de-France n’est toujours "pas d'actualité", selon le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, qui s'est exprimé sur RTL mardi. Le conseil de défense sanitaire qui s'est tenu ce mercredi à l'Elysée n'a ainsi pris aucune décision supplémentaire pour la région parisienne. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, a simplement indiqué à sa sortie que des évacuations sanitaires vers d'autres régions étaient envisagées. Les autorités ne dérogent pas à la règle qu'ils ont fixée pour l'Île-de-France : "Pas de confinement tant que l'hôpital peut tenir."
Le confinement "serait proposé si nous avions l'impression que l'hôpital ne pouvait pas tenir et que nous étions en face d'un risque majeur de ne pouvoir accueillir les malades graves à l'hôpital", a expliqué Jérôme Salomon. Cette stratégie de réponse épidémique fondée uniquement sur les capacités hospitalières n'est pourtant pas évidente. L'occupation des lits de réanimation témoigne d'une situation épidémique passée, puisqu'il se passe plusieurs semaines entre la contamination et l'entrée en réanimation.
"Nous sommes à saturation"
Or, ces contaminations sont loin de baisser en Île-de-France, où elles dépassent désormais les 350 cas pour 100.000 habitants, bien au-delà du seuil d'alerte maximale de 250. Des chiffres qui n'augurent pas une baisse de pression hospitalière et qui pourraient inciter à prendre des mesures contraignantes sans attendre l'implosion.
"Nous sommes à saturation, ça continue de monter et on est en train de dispatcher des malades un peu partout, comme on peut. On annule des opérations, on annule des prises en charge d'autres malades, voilà les conséquences de l'absence de décision", s'est alarmé auprès de l'AFP Stéphane Gaudry, professeur de médecine intensive et réanimation à l'hôpital Avicenne (Bobigny).
Cette absence de décision surprend également lorsque l'on compare les chiffres dans certains départements franciliens avec ceux du Pas-de-Calais, confiné le week-end avec un taux d'incidence de 407 cas pour 100.000 habitants sur les sept derniers jours, contre 409 dans le Val-de-Marne et 440 en Seine-Saint-Denis. Des élus du département se sont d'ailleurs emparés de ces chiffres pour critiquer un "deux poids, deux mesures" entre la région parisienne et le Pas-de-Calais. "Y-a-t-il des sous-citoyens en France qui n'ont qu'à se taire et subir ?", s'est ainsi agacé le maire du Touquet, Daniel Fasquelle (LR).
Différences de traitement
Premier élément pour expliquer cette différence de traitement : "La charge sanitaire hospitalière n'est pas la même dans la région Hauts-de-France et en Île-de-France", expliquait Olivier Véran sur BFMTV vendredi dernier. Un argument que les derniers chiffres contredisent déjà. Second argument du ministre de la Santé : "Mettre en place des mesures le week-end en Seine-Saint-Denis, ça voudrait dire les mettre en place dans toute l'Île-de-France" à cause de la forte porosité entre les différents départements, et certains départements subiraient alors des mesures que le situation locale ne justifierait pas.
Ailleurs en France pourtant, des territoires également très poreux ont été partiellement confinés. Ainsi, le Pas-de-Calais a été confiné le week-end de son côté, sans le Nord voisin avec lequel les échanges de population sont pourtant massifs, plus de 100.000 travailleurs trans-départementaux par jour. De la même manière, seule l'agglomération de Dunkerque est confinée le week-end dans le Nord, et a transféré une centaine de malades courant février dans les hôpitaux lillois. Ces territoires sont très liés face à l'épidémie, au point que la région est aujourd'hui contrainte d'évacuer des malades jusqu'à Limoges.
Pressions politiques
La pression politique conjointe de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et de la présidente de Région Valérie Pécresse, serait une raison plus plausible pour expliquer l'inertie. La première a déclaré le 1er mars qu'un confinement le week-end serait une mesure "difficile, dure, voire inhumaine". Aujourd'hui, les appels en ce sens se font pourtant de plus en plus pressants.
Alors qu'un tiers des Français hospitalisés en réanimation le sont en Île-de-France, plusieurs médecins et scientifiques plaident pour des mesures avant que les opérations de malades graves ne doivent être déprogrammées.
"Il faudra probablement reconfiner"
C'est l'avis du professeur Djilali Annane, chef du service de réanimation de l'Hôpital-Poincaré de Garches, qui explique sur Europe 1 qu'"il faudra probablement reconfiner, même si le gouvernement n'a aucune envie de passer à nouveau par cette mesure drastique". "Il faudrait prendre des mesures maintenant pour faire en sorte que la tension retombe dans une dizaine de jours", a complété le médecin.
L'épidémiologiste Dominique Costagiola est du même avis et ne mâche pas ses mots dans l'édition du Parisien du 5 mars : "Le gouvernement attend d'être au pied du mur pour agir. C'est le summum de la bêtise". Côté exécutif, on parie sur la vaccination pour faire baisser les contaminations au printemps et éviter des confinements douloureux pour l'état psychologique du pays.
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Théo Moy