[Interview] Week-end d'émeutes au Sénégal : trois questions au politologue Christian Sambou

Après l'arrestation de l'opposant politique Ousmane Sonko, des émeutes secouent le Sénégal. Christian Sambou, professeur en sciences politiques et relations internationales à l'université de Lille, éclaire la situation.

Depuis le mercredi 3 mars, le Sénégal (Afrique de l'Ouest) connaît des soulèvements populaires important à la suite de l'interpellation de l'opposant politique Ousmane Sonko. Ces revendications civiles traduisent une envie d'alternance démocratique qui germe dans le pays. Le point sur la situation avec Christian Sambou, professeur de sciences politiques et spécialiste d'Afrique occidentale à l'université de Lille.

Le Bouillon : Ces manifestants sont la plupart des jeunes. Qu'est-ce qui les attire dans le discours d'Ousmane Sonko ?

Christian Sambou : Le verrou de la stabilité au Sénégal est la démocratie, et les dérives autoritaires du président actuel Macky Sall frustrent de plus en plus la population. Les jeunes Sénégalais, qui représentent 70% de la population, ne se retrouvent plus dans un gouvernement qui accuse des opposants politiques de crimes pour les écarter de la scène politique. Ce fut le cas avec l'ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, et c'est le cas actuellement avec Ousmane Sonko, accusé de viol. Cela ressemble à un complot politique, comme le dit le dissident.

En dépit de sa croissance économique vantée, le Sénégal fait partie des 25 pays les plus pauvres au monde. Le marché de l’emploi n'est pas performant et le tissu industriel est presque inexistant. Dans ce contexte, Ousmane Sonko apparaît comme une figure anti-système, qui oppose à ses adversaires des idées, un projet et un programme. Il fait polémique au sens propre, c’est-à-dire qu'il innove et bouscule les vieilles pratiques politiciennes. Il est l'un des rares politiques à défendre une ligne souverainiste, visant à construire un Sénégal qui puisse tirer profit des ressources internes longtemps restées concentrées entre les mains de certains.

Les jeunes partagent-ils les mêmes revendications partout dans le pays ou bien les manifestations traduisent-elles plutôt la volonté d'une seule catégorie ?

Les jeunes ne représentent pas une catégorie uniforme, ce qui explique que leurs représentations politiques soient multiples et variées. D'un côté, il y a les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché de l’emploi, frustrés par les maigres possibilités d’insertion. Ensuite, les jeunes qui sont déjà dans l’emploi précaire du secteur informel. C’est la catégorie de jeunes qui s’investit le plus souvent dans l’immigration illégale et ce sont eux les plus touchés par les conséquences économiques de la crise sanitaire. Enfin une troisième catégorie de jeunes qui voit ses lendemains incertains. Ces jeunes en formation au Sénégal connaissent un profond mal-être depuis de nombreuses années.

Si les aspirations des jeunes sont différentes, l’emploi demeure un enjeu fondamental dans toutes les localités du pays. Les manifestations de ces derniers jours prouvent combien ces revendications sont aussi importantes dans la capitale que dans les régions périphériques, puisque c’est dans l’ensemble pays que les jeunes manifestent pour la libération de Sonko, pour la démocratie, mais aussi pour des conditions de vie meilleures.

Ils adhèrent tous aux espoirs suscités par le discours anti-système des nouveaux leaders politiques, dont font partie Ousmane Sonko et son parti Pastef. De plus en plus de jeunes décident de rester et réussir dans un Sénégal qu’ils se représentent juste.

Pourquoi Ousmane Sonko symbolise-t-il un changement ?

Les manifestations qui durent depuis maintenant un mois, et les violences intenses de ces derniers jours, attestent largement que Sonko demeure une figure d’espoir pour de nombreux citoyens sénégalais. Ils lui reconnaissent une probité, une compétence et une intelligence politique. Son discours anti-corruption lui confère un côté anti-système. Son parcours le crédite d’une bonne confiance populaire que ne possédaient pas les anciens élus.

Son profil ne se retrouve pas chez les autres leaders. La politique sénégalaise a été longuement réservée aux personnes du troisième âge. Que ça soit un jeune qui fascine, c'est innovant.  

En ce qui concerne sa manière de comprendre la politique, il est aussi réformateur. Autant au niveau du parti, on retrouve des technocrates - banquiers, administration nationale, centrale etc -, autant au niveau des votants, on retrouve des profils assez variés : des jeunes citadins, des femmes, des jeunes de la zone rurale.  En Afrique de l'Ouest, cette figure de leader est minoritaire, ce qui fait du Sénégal un pays à l'avant-garde politique.

Propos recueillis par Elena Garcia

🧑‍🍳 On vous recommande