Affaire Karachi : Balladur relaxé, le débat sur la Cour de justice de la République relancé

La Cour de justice de la République, qui a relaxé Edouard Balladur et condamné François Léotard ce jeudi 4 mars, demeure contestée à la fois par une partie de la classe politique et au sein même de l’institution judiciaire. 

Je prends acte avec satisfaction de la décision de la Cour de justice de la République qui reconnaît enfin mon innocence” s’est réjoui Edouard Balladur, relaxé ce jeudi 4 mars dans l’affaire Karachi, alors que l’accusation avait requis un an de prison avec sursis et 50.000 euros d’amende.

Pourtant, de nombreuses critiques s’élèvent contre cette juridiction chargée de juger les ministres pour des crimes ou délits commis dans le cadre de leurs fonctions. Nous les avons compilées.

Une institution politico-judiciaire

"Le soupçon de partialité entache les arrêts de la Cour", reproche l’association de lutte contre la corruption, Anticor, comme le rapporte Public Sénat. La CJR est en effet une juridiction mi-judiciaire mi-politique avec douze parlementaires (dont six députés et six sénateurs), forcément colorés politiquement, et trois magistrats de la Cour de cassation.

Une institution aux compétences limitées

La CJR ne peut, en effet, pas juger les infractions qui auraient été commises par un ministre, sans lien avec les attributs de son poste. De même, les complices présumés d’un ministre mis en cause devant la CJR sont poursuivis devant les juridictions ordinaires. C’est cette double procédure qui peut diviser les affaires en deux volets : ministériel devant la CJR et non ministériel devant une juridiction ordinaire.

Une institution jugée laxiste

Les critiques fusent à l’égard de la CJR. Elle est jugée lente, incohérente et parfois-même trop laxiste face aux justiciables des plus hautes sphères. Pour cause, depuis sa création, elle a jugé une dizaine de personnes dont quatre au moins ont été relaxés, les autres étant condamnés à des peines de sursis ou déclarés coupables mais dispensés de peines.

Une clémence présente dès les débuts de la CJR. Son premier procès, en 1999, portait sur l’affaire du sang contaminé. Il appelait à la barre l’ancien premier ministre, Laurent Fabius, et l’ancienne ministre des Affaires sociales, Georgina Dufoix, tous deux relaxés.

Au fil des années, la liste s'est allongée. Le 16 mai 2000, Ségolène Royal avait été relaxée dans une affaire de diffamation l'opposant à des enseignants, remontant à 1997, alors qu'elle était ministre déléguée à l'Enseignement scolaire. Le 30 avril 2010, Charles Pasqua, ancien ministre de l'Intérieur, avait été condamné à un an de prison avec sursis pour complicité d'abus de biens sociaux dans les années 1990 et relaxé dans deux autres affaires. En décembre 2016, l'ancienne ministre de l'Economie et des Finances, Christine Lagarde, avait été reconnue coupable de "négligence" dans l’affaire de l’arbitrage favorable à Bernard Tapie neuf ans plus tôt, mais la Cour avait choisi de la dispenser de peine. Jean-Jacques Urvoas est finalement le premier ministre de la Justice condamné par la CJR pour "violation du secret professionnel".

Une institution qui dev(r)ait disparaître

François Hollande comme Emmanuel Macron avaient promis de supprimer la CJR. L’actuel président de la République précisait, en 2018 pour l’ouverture solennelle de la Cour de Cassation, que “la Cour de justice de la République ne (remplissait) plus la fonction essentielle de traiter de la responsabilité des ministres”. Six mois plus tôt, il estimait que “les ministres (devaient) devenir comptables des actes accomplis dans leurs fonctions ordinaires”.

Malgré les intentions, la suppression de la CJR demeure complexe. En effet, elle nécessite une modification de la Constitution, votée dans les mêmes termes par le Sénat et l’Assemblée puis par au moins trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès à Versailles.

En juillet 2019, la professeure de droit public, Cécile Guérin-Bargues, estimait dans une tribune publié dans Le Monde, que “l’existence même de la Cour de justice de la République (devait) être remise en question”.

Enfin, un article du projet de révision constitutionnelle d’août 2019 prévoyait que "les membres du gouvernement" soient "responsables, dans les conditions de droit commun, des actes qui ne se rattachent pas directement à l’exercice de leurs attributions, y compris lorsqu’ils ont été accomplis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ". Le texte précisait que "leur responsabilité ne peut être mise en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable". Les membres du gouvernement seraient, le cas échéant, "poursuivis et jugés devant les formations compétentes, composées de magistrats professionnels, de la Cour d’appel de Paris”. Pour l'heure, la CJR demeure et continue de faire débat.

Fanny Ruz-Guindos-Artigue

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