Les Taïwanais engloutissent 41.000 tonnes d'ananas pour résister à la Chine

En quatre jours, les commandes d'ananas taïwanais ont dépassé les exportations annuelles. Crédit : Pexels

La Chine a interdit le 26 février l’importation d'ananas en provenance de Taïwan. Depuis lors, les habitants de l’île, dont l’autonomie est toujours contestée par Pékin, se mobilisent pour consommer tous les ananas qui devaient être exportés.

En quatre jours, les Taïwanais ont remporté la bataille de l'ananas. En smoothie, en gâteau ou tout simplement coupés en fines lamelles fraiches, les Taïwanais comptent engloutir les 41.000 tonnes d’ananas que la Chine a refusé d’importer, et qui ont donc été commandées sur le marché domestique. Le Bouillon vous racontait dès mardi cette mobilisation inédite, victoire symbolique pour les insulaires dans le conflit larvé qui oppose Pékin à Taipei depuis plus de 70 ans.

Tout commence le 26 février dernier. À la surprise générale, les autorités chinoises annoncent qu’elles refusent d’importer les ananas en provenance de Taïwan. Sur l’île, la récolte commence à peine mais les fruits, argue Pékin, seraient contaminés par des parasites. Calomnie, répond rapidement Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise. " 99.79% des fruits ont passé avec succès les contrôles sanitaires", assure-t-elle sur Twitter. L’annonce chinoise ne serait rien d’autre qu’une nouvelle tentative de déstabilisation, une mesure de guerre commerciale, similaire à celle que Pékin a menée contre le vin australien en 2020

La Chine développe sa production d'ananas

Au cœur de ce litige : 41.000 tonnes de fruits, d'une valeur totale de 50 millions d’euros. Une somme minime à l’échelle des échanges commerciaux entre les deux pays, mais Taïwan exporte 90% de sa production d’ananas vers la Chine, où la demande pour ce fruit croît d'année en année, à tel point que le régime chinois a investi dans les régions d’Hainan et du Guandong pour satisfaire l'appétit de sa population. 

À Taïwan, 15e producteur mondial d’ananas, l’annonce chinoise est vécue comme une agression. Très vite, les autorités lancent une campagne sur les réseaux sociaux autour d’un hashtag, Freedom pineapples, "les ananas de la liberté". Sur les réseaux, Tsai Ing-wen, la présidente, fait elle-même la promotion de la nouvelle richesse nationale. Le mot d’ordre est simple : les citoyens taïwanais sont invités à consommer les ananas qui devaient être exportés.

En burger, en pizza ou en Pavlova

Sur Twitter, l’initiative est très largement suivie, les internautes rivalisant d’innovations culinaires pour relever le challenge. L’un propose un burger au kiwi truffé de lamelles d’ananas frais, l’autre un menu entier inspiré de la gastronomie française : l’ananas vient y sublimer une poitrine de porc marinée à la mode de Canton. Et au dessert, on déguste une Pavlova à la crème de noix de coco sur son coulis… d’ananas. 

Très politique, la mobilisation est soutenue par certaines ambassades occidentales. L’office canadien du commerce à Taipei supporte l’ananas taïwanais et rappelle avec humour aux novices que la fameuse - et controversée - pizza hawaïenne a été inventée au Canada, un jour de 1962, quand le chef Sam Panopoulos s’est risqué au mélange sucré-salé dans son restaurant de l’Ontario. 

Une balance commerciale en berne pour Taïwan

Quelques jours plus tard, l’opération est un succès. Le ministre de l’Agriculture annonce ce mercredi 3 mars que les fermiers ont déjà reçu des commandes à hauteur de 41.687 tonnes, soit plus que la quantité qui est exportée chaque année en Chine. L’idée est désormais de renforcer les exportations vers l’étranger, hors Chine. Selon le ministère de l’Agriculture, l’Australie vient de s’engager à acheter 6.000 tonnes d’ananas d’ici le mois de mai. 

Cette bataille commerciale autour de l’ananas s’inscrit dans un contexte économique tendu pour Taïwan. Les exportations agricoles de l'île vers la Chine ont chuté de 20% en 2020 quand dans le même temps, les importations en provenance du continent ont augmenté de 1.9%, selon le magazine taïwanais Tianhsia, repris par Courrier International. 

Menace d'un conflit armé

Cette dépendance accrue inquiète les autorités taïwanaises, qui craignent l’influence grandissante de la Chine. Un conflit oppose depuis plus de 70 ans les deux pays. Dans les faits, Taïwan a une indépendance administrative et politique par rapport à Pékin, mais l’indépendance n’a jamais pu être proclamée. Fin janvier dernier encore, le gouvernement chinois a prévenu qu'une proclamation d'indépendance conduirait à un conflit armé, alors que les manœuvres militaires se multiplient en mer de Chine.

Pierre Lann

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